La ville d’aujourd’hui se situe au croisement de deux impondérables que les bâtisseurs doivent intégrer : le temps et l’espace. Le temps demeure la priorité de vie de la plupart de nos concitoyens et il demeure l’enjeu de ce début de 21e siècle. Quant à l’espace, il s’agit de l’enjeu collectif premier dans sa maîtrise si tant est que l’on entend construire un avenir durable et soutenable pour tous. C’est dans ce cadre à double entrée que nous nous situons.
Au début donc était le temps. Pour les citoyens vivant dans les agglomérations urbaines, de Paris comme de Province, dans les villes centres comme dans les banlieues, le temps constitue la préoccupation première. Les temps de trajet entre domicile et travail, le temps que l’on consacre à la consommation, le temps passé à gagner sa vie pour ceux qui ont encore un emploi, tout ce temps file à grande vitesse et diminue de manière exponentielle le temps pour soi. Or, ce temps pour soi demeure le temps de l’émancipation, par la culture, par la vie sociale et amicale, par l’implication citoyenne. Bref tout ce qui concourt à une pleine humanité, hors de l’aliénation consumériste qui domine notre époque. Ce temps concourt de fait à la réussite solidaire dans le sens où un être humain, plein et entier, émancipé, est un Homme réussi et qui participe de la réussite collective.
Ralentir les temps aliénants
Pour nous, il demeure une priorité que le temps de l’émancipation reprenne une plus grande place. Et c’est pourquoi nous attachons une grande importance à construire une ville qui œuvre au ralentissement des temps aliénants : travail et consommation en particulier. L’urbanisme est le premier outil, la planification notre méthode. Oui, nous entendons planifier les diverses politiques publiques qui contribuent à façonner la ville dans les domaines clés que sont l’économie, l’aménagement urbain, l’environnement. Planifier, c’est anticiper les besoins, définir les moyens, prévoir les étapes, fixer les moyens. Au fond, c’est aussi simple que cela. Un outil et une méthode donc et un défi en forme de paradoxe apparent : pour ralentir la ville, il faut la densifier.
Pourquoi densifier la ville si ce n’est pour lui permettre d’assumer l’ensemble de ses fonctions : développement économique pour créer des emplois qui profiteront aux habitants ; habitat pour assumer et réaliser la mixité sociale ; services publics pour répondre aux besoins premiers des citoyens ; culture, sports et loisirs ; espaces de nature préservés pour un cadre de vie amélioré. Mais je n’oublie pas qu’une des fonctions premières de la commune, et j’utilise le mot à dessein, demeure l’apprentissage de la vie sociale autant que la construction, après cet apprentissage, de modes de vie alternatifs. Quand je parle de mode de vie, dans la cité, je parle évidemment de politique.
Densifier la ville donc, planifier l’action publique, pour maîtriser les espaces, les affecter au mieux de leurs caractéristiques aux diverses fonctions urbaines : voici l’enjeu pour nous. A la Communauté d’agglomération Les Lacs de l’Essonne, nous n’avons pas peur de dire que moins les bâtiments, quelle que soit leur rôle (habitat, service, économie), auront d’emprise au sol, mieux nous pourrons intégrer les diverses fonctionnalités urbaines qui conditionnent le caractère avéré, et non plus rêvé, du lien social. L’urbanisme des années 1960 et 1970 a moins pêché par son intensité que par son inaccomplissement. Des ensembles de logements extrêmement denses ont été construits sans que les donneurs d’ordre ou les financeurs (l’État en premier lieu et singulièrement en région parisienne) ne se préoccupent de l’accompagnement au travers des services de proximité que ce soient les services publics, les commerces, les lieux de loisirs et de culture… Dans combien de nos quartiers de banlieue la puissance publique n’est-elle plus représentée que par les voitures de police et l’école maternelle ? Là est le problème premier, pas dans la hauteur du bâti, à notre sens tout au moins.
Libérer les espaces
Il s’agit en premier lieu de se battre concrètement pour un environnement de qualité. L’intensification urbaine permet de préserver ces espaces, c’est même la condition pour leur persistance. Nous connaissons trop les dégâts irréversibles causés sur l’environnement par ces immenses zones pavillonnaires ne présentant ni confort ni services ni convivialité. De même, la diminution des emprises de bâti au sol permet de minorer l’importance des surfaces imperméabilisées dont chacun peut mesurer aujourd’hui les nuisances, notamment en termes de gestion des eaux de pluie et eaux usées.
En privilégiant les constructions en hauteur à haute qualité environnementale et basse consommation d’énergie, nous libérons les espaces que nous maîtrisons. En assumant une mixité entre logement et locaux à vocation économique, nous entendons réduire les temps de trajets entre domicile et travail pour un nombre croissant de nos concitoyens. C’est là une première réponse à l’enjeu du temps mais aussi à la lutte contre les gaz à effet de serre. Il en va de même lorsque nous mettons en œuvre un service public culturel de proximité. Enfin, les espaces libérés par notre maîtrise foncière permettent la construction de nouveaux services publics répondant aux besoins d’une population en croissance : écoles, crèches, maisons de quartier ou MJC.
La puissance publique comme trait d’union
Ces services, mis en œuvre par les collectivités territoriales, constituent les instruments du lien social et participent de la convivialité, une des clés de la vie urbaine. Ils ont aussi vocation à devenir des traits d’union entre les différentes parties de la ville, tant celle-ci n’est jamais une. Même si nous pouvons le regretter parfois, cette multiplicité à l’intérieur de l’espace communal participe de sa richesse, de sa mixité. C’est pourquoi il est essentiel d’ouvrir les quartiers les uns sur les autres, au moyen d’un ensemble de voiries adaptés aux besoins nouveaux.
Pour autant, si nous défendons, vous le lisez, une ville intégrée avec l’ensemble de ses fonctions, nous rejetons l’idée d’une ville autarcique et refermée sur elle-même. Nous avons trop souffert de cette conception de quartiers autosuffisants, en vogue dans les années 1970, qui, finalement, confinent aujourd’hui à la ghettoïsation, les différentes facettes de la crise économique inhérente au capitalisme étant passées par là. Nous militons donc pour une ville ouverte sur ses semblables, qui permette le brassage, la circulation des Hommes comme des idées. Cela suppose une nouvelle architecture des transports en commun ainsi que la gratuité de ces déplacements pour inciter à ne plus utiliser sa voiture. L’accélération des transports que génère leur massification (RER et TER en province, tram-train, etc.) permet de ralentir le rythme de vie en libérant du temps. Nous y sommes toujours.
Cette ambition, avec un outil privilégié et une méthode définie, nécessite toutefois une condition tant, en apparence, elle peut apparaître comme contraignante pour le citoyen. Cette condition a pour nom l’éducation populaire. Nous considérons que le rôle militant des élus, avant même la construction de la ville, demeure d’être un éducateur du peuple, c’est-à-dire l’amener à prendre conscience des enjeux, à s’approprier les ambitions collectives, à prendre à bras le corps les contradictions pour les résoudre. Cela nécessite un travail intense de débat, de confrontation, dans une relation de proximité avec le plus grand nombre de citoyen. Notre conception de l’élu est aux antipodes de la culture dominante qui réclame des élus gestionnaires, à l’hyper technicité, mais retranchés dans leur tour d’ivoire. Nous avons suffisamment confiance à la technicité des agents territoriaux, à leur attachement aux territoires sur lesquels ils interviennent autant qu’ils y vivent, pour savoir que notre première tâche est de nous rendre disponibles pour le débat citoyen, qui précède et conditionne l’émancipation. Dès lors que le citoyen peut y consacrer du temps…
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Bonus vidéo : 113 “De l’autre côté de la rue”