Nicolas Lancret (Paris, 1690-1743),
Danse près d’une fontaine, c.1722
Huile sur toile, 79 x 110 cm, Potsdam, château de Sans-souci
Parmi les anniversaires de 2012, le tricentenaire de la naissance du roi de Prusse Frédéric II, dit le Grand (1712-1786), a suscité un peu plus d’intérêt que je l’aurais supposé. Quelques semaines après la parution d’un double disque, agréablement troussé mais stylistiquement discutable (et affublé de photos assez grotesques) quoi qu’en dise la campagne de publicité outrancière dont il a fait l’objet, signé par Emmanuel Pahud (EMI), Harmonia Mundi a publié à son tour une anthologie consacrée par l’Akademie für Alte Musik Berlin à des compositeurs dont le point commun est d’avoir travaillé au service du souverain.
Frédéric le Grand est un personnage aux multiples facettes et l’image du monarque éclairé que nous transmet une certaine
historiographie facilement simplificatrice ne doit pas faire oublier les côtés plus sombres du personnage. Certes, il fut l’ami des philosophes – la relation qu’il entretint avec Voltaire, qui
trouva refuge en son château de Sans-Souci, est demeurée célèbre – et son action en faveur des arts et en particulier de la musique, qu’il pratiquait lui-même, ayant étudié la flûte avec Johann
Joachim Quantz (1697-1773), virtuose de l’instrument mais également facteur et théoricien qu’il finira par convaincre de quitter la brillante cour de Dresde pour venir rejoindre la sienne à
Potsdam, et la composition auprès de Carl Heinrich Graun (c.1703/4-1759), dont il fit son maître de chapelle dès 1740, est incontestable et mérite d’être saluée,
L’anthologie dont il est question aujourd’hui permet, entre autres qualités, de se rendre pleinement compte de l’avancée de
cette mutation vers le milieu du XVIIIe siècle et d’entendre un de ses aboutissements avec la Symphonie en ré majeur de CPE Bach qui
clôt le programme dont elle se situe en marge, car l’œuvre a été composée en 1775-76 à et pour Hambourg ; il est certain que Frédéric II ne goûtait guère le style musical aventureux du
deuxième fils du Cantor de Leipzig et il y a fort à parier que si ce dernier était demeuré à sa cour, cette symphonie où règnent en maîtres des contrastes tranchés et un sens de la surprise qui
annonce Haydn (en particulier dans les ruptures de ton du Presto final) n’aurait probablement pas vu le jour. Malgré sa tonalité d’ut mineur – notons d’ailleurs le choix intelligent
fait par l’Akademie für Alte Musik Berlin de ne proposer,
L’Akademie für Alte Musik Berlin (photographie ci-dessous) fait merveille dans un répertoire qu’elle maîtrise comme peu
d’autres orchestres. L’évidence qui se dégage de l’écoute de cet enregistrement ferait presque oublier à quel point cette sensation découle d’une mise en place où rien n’est laissé au hasard et
d’un talent véritable permettant de rendre passionnantes des pièces qui, sous d’autres doigts, sembleraient probablement nettement plus banales. Il faut ainsi saluer le travail de Christoph
Huntgeburth à la flûte et de Raphael Alpermann au pianoforte, lesquels parviennent, sans céder un instant à la facilité ou à la mièvrerie, à faire de la Sonate en ut mineur de Frédéric
II un moment délicieux de dialogue chambriste. Les pièces orchestrales sont également de parfaites réussites, grâce au sens de la caractérisation et à l’implication des solistes comme de
l’ensemble. L’Ouverture et Allegro de Johann Gottlieb Graun remplit parfaitement son rôle de pièce d’apparat, rendu néanmoins sans aucune pesanteur,
*Jan Freiheit, viole de gambe (copie d’après Joachim Tielke)
+Christoph Huntgeburth, flûte
+°Raphael Alpermann, pianoforte (copie d’après Mathaeus Heilmann, c.1785)
Akademie für Alte Musik Berlin
1 CD [durée totale : 73’58”] Harmonia Mundi HMC 902132. Incontournable Passée des arts. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Frédéric II, Sonate pour flûte traversière et basse continue :
[II.] Andante e cantabile
2. Christoph Nichelmann, Concerto pour clavecin en ut mineur :
[II.] Adagio sempre piano
3. Carl Philipp Emanuel Bach, Symphonie en ré majeur :
[III.] Presto
Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :
Friedrich der Grosse (Frédéric le Grand) : Music for the Berlin Court (Musique pour la cour de Berlin) | Compositeurs Divers par Akademie für Alte Musik BerlinIllustrations complémentaires :
Johann Georg Ziesenis le Jeune (Copenhague, 1716-Hanovre, 1776), Portrait de Frédéric II, 1763. Huile sur toile, 62 x 51 cm, collection privée
Antoine Watteau (Valenciennes, 1684-Nogent-sur-Marne, 1721), Assemblée dans un parc, c.1717-20. Huile sur toile, 111 x 163, Berlin, Staatliche Museen (en provenance du château de Sans-souci)
La photographie de l’Akademie für Alte Musik Berlin est de Kristof Fischer. Je remercie Uwe Schneider de m’avoir autorisé à l’utiliser.
Suggestion d’écoute complémentaire :
Ce disque très réussi de l’ensemble Il Gardellino, dirigé par le fabuleux hautboïste Marcel Ponseele, permet d’explorer le volet chambriste de la production berlinoise au temps de Frédéric II au travers d’œuvres signées Johann Gottlieb Graun, Christoph Schaffrath et Johann Gottlieb Janitsch, dont le Quatuor avec hautbois sur « O Haupt voll Blut und Wunden » est une merveille.
Il Gardellino
Marcel Ponseele, hautbois & direction
1 CD Accent ACC 20143. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien et un extrait de chaque plage du disque en être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :