Le poète français, né en 1960, latiniste réputé, auteur du très beau Histoire de nous, nous revient avec un recueil très intime, tissé de mort, d’absence, d’intense mélancolie. Si le ton des textes de l’auteur de Carmina et Chronique des esprits emprunte tant de gravité, jamais le style ne s’en ressent, une légèreté de tous les instants sautille de vers en vers, puisque le poète a choisi d’articuler ses poèmes assez longs à force d’enjambements qui leur assurent une grâce infinie. Et pourtant, que d’échos passent, tremblements et angoisses, à l’énoncé des beaux vers !
Il y a chez Miniac une science du visage à retranscrire sans pathos, mais dans la juste présence émue.
Une grande simplicité préside à l’élaboration de ces vers bien plus profonds que leur seule énonciation : jamais de vocable qui ôterait aux images leur force.
Et comment dire la souffrance des départs, la blessure ?
Quelques exemples ?
« La pluie est venue comme un songe de bienfaisance ; tout est venu
Avec elle. Des visages s’essayent
Au véhicule de chaque goutte… »
« Je n’ai jamais su à qui je m’adressais en écrivant un poème
Les mots ne m’ont pas laissé le temps de vivre
Assez longtemps après leur surgissement que déjà, un autre
Se présentait sans que j'aie pu obtenir de réponse. »
Miniac recrée les disparus avec une étonnante lucidité et il nous les rend proches comme frères.
Et il est question de fratrie à plus d’un titre dans ce beau livre bleuté. Frère de sang, de lecture, de rencontre. L’on sent dans l’écriture unanimiste de Miniac la part de convivialité perdue, celle qu’honorent des Sansot (Chemins aux vents), des Ernaux (La vie extérieure), puisque le monde n’est plus de ces usages. La poésie, oui, tout le temps. Elle convoque en nous l’assurance de ces territoires enf(o)uis.
Ainsi faut-il comprendre les douces injonctions du poète de Nogent : « Regarde », ou les constats de « bienfaisance ».
Sous sa plume, il y a non seulement du « jour », mais aussi des plaintes vocatives, « du silence », et pour en revenir à Sansot, un véritable « usage de la lenteur » quand il s’agit de contempler le réel. Les vers prennent le temps de nous entortiller l’âme paysagère :
Quelque chose en nous demeure insoupçonné ;
Nous l’oublions. Nous ne voulons pas le voir.
Le jour où mon frère est mort –
Quelque chose a rampé jusqu’à moi
Et m’a dit : « Attends. Sois silencieux. »
Le poète mêle le tragique au tracé de nos vies. Le frère. L’autre. La peine en sus. L’écriture sauve un peu. Elle empêche de sombrer.
Un bien beau livre.
[Philippe Leuckx]
Jean Miniac, Le jour, coll. La grande bleue, Bleu d’encre éditions, 2012, 54 p., 5 €. (Illustrations de Colette Deblé.)