Se réapproprier son propre mythe à une époque où nous n’en avons plus, une époque où nous les remâchons à défaut d’en créer de nouveaux… Ridley Scott, en proposant une sorte de préquelle à sa propre saga Alien avec Prometheus, s’intègre parfaitement à la mode hollywoodienne qui réinvestit année après année les figures de ses supers héros humains malgré eux. Ne parvenant plus à les créer, les réalisateurs réécrivent leurs propres histoires, faisant des hommes ou des extra-terrestres les forces occultes que l’on doit craindre ou admirer en ces temps dénués de tout mysticisme « quotidien ». Trente-trois ans après Alien Le Huitième Passager (1979), Ridley Scott cherche donc à réécrire son mythe en se basant bien évidemment sur son propre imaginaire (réinvesti par James Cameron en 1986 avec Aliens le retour, David Finsher en 1992 avec Alien 3 et Jean-Pierre Jeunet en 1997 avec Alien La Résurrection), sans oublier la véritable base de la mythologie du monde occidental (offrant ainsi plusieurs possibilités de lectures à ce film, une des raisons valables pour croire que Prometheus n’est pas un mauvais film comme le pensent de nombreuses critiques).
L’histoire (bien compliquée, il faut le dire) se passe 33 ans avant Alien Le Huitième Passager, en 2089. En faisant abstraction des 15 premières minutes du film (nous y reviendrons), le scénario se concentre tout d’abord sur le couple d’archéologues Elizabeth Shaw (Noomi Rapace) et Charlie Holloway (le mièvre Logan Marshall-Green) qui découvrent dans une grotte en Écosse des peintures rupestres représentant un humanoïde (grand homme élancé) pointant une main vers 6 étoiles. Cette représentation fait une nouvelle fois écho à d’autres retrouvées dans toutes les civilisations mondiales. Une expédition scientifique est donc lancée, grâce aux investissements de la Compagnie Weyland (on se rappelle la fascination de Ridley Scott pour les puissances privées). Le vaisseau Prometheus avec ses 17 passagers rejoint ainsi la lune LV-223 : l’endroit indiqué sur les fameuses peintures rupestres. Durant ce long voyage (deux ans), l’androïde David (Michael Fassbender) surveille l’équipage placé en biostase et enrichit sa culture afin de devenir un être ultra complet, connaissant parfaitement l’humain et ce qu’il renferme au plus profond de lui depuis la nuit des temps, jusqu’à scruter son inconscient. A destination, David réveille l’équipage du vaisseau de Mrs Vickers (Charlize Theron) tandis que les archéologues Shaw et Holloway présentent au groupe le but de ce voyage : explorer cette lune sans doute peuplée d’extra-terrestres Ingénieurs à l’origine de la création de l’humanité sur Terre. Très vite, l’excursion scientifique prend un mauvais tour, la présence des humains déstabilisant la composition organique d’éléments minéraux semblant pourtant inoffensifs. La découverte des restes d’un Ingénieur et l’étude de son ADN révèlent bien à Elizabeth Shaw la véracité de ses intuitions : ces êtres, extra-terrestres, sont nos créateurs (ce que tente de nous expliquer de façon assez mystérieuse la toute première scène du film, dont l’époque se joue en des temps les plus lointains de l’origine de la vie sur Terre).
Mais bien évidemment, les hommes du vaisseau Prometheus sont de véritables Prométhée(s), des voleurs de feu. Leur avidité de connaissance et leur soif de domination (mécanique) sur ce qui ne devrait pas leur être accessible (l’organique) se retournent contre eux au fil du scénario. Tels Adam et Eve chassés du Paradis après avoir accédé à la connaissance, les humains doivent fuir cette lune maudite dont les créatures réveillées, terriblement suintantes dans cet univers tout droit sorti de l’imagination du graphiste suisse Hans Ruedi Giger, n’ont qu’un instinct de survie, allant de pair avec la destruction de la race humaine. Le spectateur retrouve alors certains leitmotiv de la célèbre saga : Elizabeth Shaw, parfaitement interprétée par Noomi Rapace, est une pré – Ellen Ripley (Sigourney Weaver), malmenée une fois de plus par la question de la maternité contrariée dans une scène terriblement gore et réussie. Les monstres (hormis les Ingénieurs Humanoïdes) appartiennent évidemment à la grande famille des Aliens (et rappellent les « Chestburster » dans le cas du combat d’Elisabeth Shaw pour sortir la création qui vit dans son ventre, ou les « Facehugger » pour la créature qui saute sur le casque de l’un des géologues perdus). L’aspect sexuel, bien présent dans la saga Alien, est encore une fois exploité dans cette préquelle (notamment avec les vipères-phallus sortant de l’eau noire pour attaquer les deux géologues perdus) ; la question du rapport sexuel entre Shaw (stérile) et Holloway avant la gestation du premier monstre, procréation dans laquelle intervient l’androïde David ; les vêtements suintants et la nudité de Shaw rappelant forcément la petite tenue d’Ellen Ripley, etc. Du côté de la 3D, on reste subjugué face à la beauté des hologrammes qui trouvent ici toute leur intensité et prouvent que ce film mérite absolument d’être vu dans ces conditions.
A contrario, certains éléments perturbent malheureusement la bonne réception de ce film. Si Ridley Scott reprend de bon droit ce qui lui appartient, pourquoi reste-t-il cloisonné dans un traitement des personnages à l’américaine, définitivement agaçant ? Car ces géologues, scientifiques et autres ingénieurs qui se retrouvent à bord du Prometheus ne peuvent malheureusement pas se comporter de manière non stéréotypée dans la façon qu’ils ont de s’adresser la parole… Évidemment, il y a toujours dans ce type d’équipée des mecs qui, disons-le, font la gueule, purement et simplement. Ils partent à la rencontre de leurs grands créateurs ; vont, en tant que privilégiés, affronter le plus grand secret de l’univers, mais ils préfèrent tout de même ronchonner dans leur coin, montrer que ça ne les intéresse vraiment pas, qu’ils sont « des durs à cuire » venus avec des œillères faire leur foutu boulot avant de rentrer tranquillement à la maison (le comble pour ce personnage borné, utilisant ses louveteaux radars pour éviter de se perdre, le premier à s’enliser dans le labyrinthe du vaisseau extra-terrestre placé sous terre). Même si l’on sait à présent qu’en 2091 on écoutera encore du Stephen Stills, on est en droit de regretter ici le comportement débile de nos semblables. C’est sûr qu’avec des spécimens pareils, on comprend bien pourquoi le dernier grand Ingénieur sur cette lune a décidé d’en découdre définitivement avec ces petits humains ! Des voleurs de feu, oui, mais de piètre espèce, qui hormis le personnage d’Elizabeth Shaw et l’androïde David, incarnent assez mal la force du nom porté par leur vaisseau le Prometheus, un nom révélant malgré tout leur essence divine lorsque l’on sait que Prométhée était le fils de Titan (les hommes étant bien ici les fils des Grands Ingénieurs). Un vaisseau qui, comme son nom l’indique, finit par sauver l’humanité (par son propre « suicide »), un bienfaiteur dans la destruction, dont les survivants (Shaw et David) sont après tout en proie à un destin leur infligeant, si l’on en croit la mythologie, un tourment éternel…