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Pour les uns, je fus curé.
Pour les autres, je fus diable.
Je suis l’homme las d’errer
Dans un grand pays de sable.
J’ai perdu beaucoup de temps ;
Pour gagner maigre pécule,
Fait dix métiers ridicules ;
Rêver me semblait tentant.
J’ai connu des monastères,
Eu des amis francs-maçons,
Dieu, pour moi, voulant sur terre
Chacun juste à sa façon.
Au temps de l’exode amer,
J’ai possédé trois arpents,
Quatre rats et un serpent,
Au canal d’entre-deux-mers.
J’ai vu Paris envahir ;
J’ai vu chez moi la police
Et quelques amis mourir
Dans le verger des supplices.
De ces nuits et de ces jours,
Il me reste un grand amour
Pour les choses d’ici-bas ;
Je n’ai livré nul combat :
J’ai laissé passer la haine,
Saluant toujours très bas
Celui qui ne m’aimait pas.
J’aime toute l’âme humaine.
Je me suis souvent trompé
J’ai commis des choses troubles,
Plus que nul autre étant double.
Parfois j’ai trouvé la paix.
Quels sont ceux qui m’ont compris ?
Deux ou trois passants peut-être.
Une table, une fenêtre,
Le pain qu’on broie : c’est le Christ.
À beaucoup je dis pardon
D’être passé sur leur porte
Sans avoir reçu leur don.
L’âme fait souvent la morte.
Et moi-même, me connais-je ?
Ai-je été ce qu’il fallait ?
Tant de mauvais sortilèges
Ont fait de moi leur valet.
Qu’ai-je aimé ? Qu’ai-je souffert ?
Ce sont là choses secrètes.
Ne croyant guère à l’Enfer,
Au grand rêve je m’apprête.
Une femme est près de moi
Depuis que je suis un homme.
Nous nouerons encor nos doigts
Quand nous ferons le grand somme.
Près de moi sont deux enfants
Que notre douceur défend.
Pour m’avoir donné ceci,
Mon Dieu, je vous dis merci.
Roger BODART (1910-1973).
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