La Cour des Comptes avait donné le ton la veille : « Plus [notre pays] tardera à redresser ses comptes, plus ce redressement sera difficile à conduire : agir a un coût, ne pas agir a un coût encore plus
grand, parce qu’entre temps, la dette et la charge d’intérêts auront continué à progresser. ». Le Premier Ministre est-il seulement incantatoire, comme le prétend l’opposition,
passablement mouvementée lors de cette séance, ou simplement …juste ?
Sans surprise et sans enthousiasme
Pour rappel, la chronologie a été très serrée :
Lundi 2 juillet 2012 matin : remise du rapport d’audit de la Cour des Comptes.
Mardi 3 juillet 2012 après-midi : discours de politique générale de Jean-Marc Ayrault devant les députés (Laurent Fabius a lu le même discours devant des sénateurs agités) et vote de la confiance par 302 voix contre 225 (les communistes se sont abstenus).
Mercredi 4 juillet 2012 matin : adoption au conseil des ministres de la loi de finances rectificative pour le budget 2012 visant à augmenter de 7,2 milliards
d’euros les recettes fiscales pour 2012 (dont une augmentation de l'essence), n'excluant pas une hausse de la CSG pour 2013 et tablant (de manière complètement irréaliste) sur une croissance de
2% entre 2014 et 2017.
Ce scénario n’est pas surprenant puisqu’il avait été envisagé bien avant l’élection de François Hollande. Soyons clair : quelle qu’aurait été l’issue de l’élection présidentielle, le nouveau gouvernement aurait été dans l’obligation de
serrer la ceinture puisque l’objectif de réduire le déficit public est un impératif à la fois national (c’est l’intérêt du peuple français, en particulier des plus jeunes) et européen (un devoir
de bonne gestion pour bénéficier le cas échéant de la solidarité européenne).
Sans surprise et aussi sans enthousiasme. La popularité de l’exécutif a même chuté depuis quelques jours
(voir sondage ici), confirmant qu’il n’y aura aucun état de
grâce au contraire du 10 mai 1981.
La passage de ce grand oral est un exercice obligé, une sorte de baptême du feu, de rite initiatique où rien
de vraiment nouveau n’est dit puisque celui-ci n’a fait que reprendre le programme socialiste longuement répété depuis janvier. S’il n’y a pas de
surprise, il y a cependant officialisation de ce que va être l’action du gouvernement, confirmation, formalisation aussi.
Entre incantation et impuissance ?
La réaction au discours très long (93 minutes) et ennuyeux de Jean-Marc Ayrault (au point de rendre malade un
nouveau député socialiste !) est partagée : d’une part, on ne peut que se réjouir des principes nobles qui semblent guider son action pour les cinq prochaines années, à savoir réduire
le déficit public, réindustrialiser la France, refonder l’enseignement, moraliser la vie politique, ce
qui laisse un petit goût des thèmes de campagne du candidat François Bayrou ; d’autre part, ces jolis
mots ne semblent que des incantations bien impuissantes et les mesures proposées ne semblent pas à la hauteur de ces enjeux.
De même, s’il est réjouissant que les vertus du dialogue social soient proclamées (carence évidente du
quinquennat précédent), tout ne doit pas être négociable avec les partenaires sociaux et le gouvernement doit reste ferme sur une ligne claire.
Réduire le déficit public
Le maître mot de l’action de Jean-Marc Ayrault, c’est la mission que lui a donnée le Président de la
République François Hollande (notons au passage qu’il n’y a aucune différence dans la pratique des institutions et les relations entre l’Élysée et Matignon avant et après le 15 mai 2012) :
« Conduire le redressement de notre pays dans la justice ».
Le mot "justice" s’est alors retrouvé employé presque à tout bout de champ, jusqu’à la nausée, sans préciser
du tout, par exemple, ce que le gouvernement entend par "classe moyenne", qui, nécessairement, sera la première à "trinquer" dans les mesures fiscales (contrairement à ce qui est proclamé). On
dirait presque que c’est un clin d’œil à "l’ordre juste" de Ségolène Royal, slogan de sa campagne de
2007.
Le mot le plus important reste cependant "redressement".
Redressement des finances publiques.
Et là, même si c’est de bonne guerre (c’est le jeu politique et les uns et les autres ne s’en sont jamais
privés), la mauvaise foi a coulé à gros flots : le gouvernement actuel a accusé le gouvernement précédent d’avoir généré l’accroissement du déficit et surtout de la dette publique, en
oubliant de mentionner qu’en septembre 2008, la France et le Monde ont subi la plus grave crise financière depuis 1929 ! Et en oubliant que la campagne électorale est désormais terminée et
que l’honnêteté intellectuelle peut reprendre place.
Au contraire, le rapport de Didier Migaud a même salué l’action positive du gouvernement précédent, celle d’avoir déjà amorcé ce redressement : « L’année 2011 amorce une trajectoire de retour à l’équilibre des finances publiques. Les objectifs relatifs aux prélèvements obligatoires et aux dépenses
publiques inscrits dans la loi de programmation ont été respectés et le déficit public a été sensiblement réduit. ».
La gauche, c’est : les dépenses, c’est maintenant !
Sur les grands objectifs budgétaires, le gouvernement Ayrault ne fait donc que reprendre la voie tracée par
son prédécesseur, ce qui est rassurant.
En revanche, le nouveau gouvernement n’a pas vraiment compris les recommandations du rapport de la Cour des
Comptes : Didier Migaud précisait avec raison qu’il était profitable à tous, et en particulier à l’emploi et à la croissance économique, de réduire les dépenses publiques plutôt qu’augmenter
la pression fiscale qui est déjà très forte en France.
Or, c’est tout le chemin inverse que le gouvernement se prépare à parcourir : embauche massive de nouveaux fonctionnaires (ce qui coûtera très cher) alors qu’il ne faudrait remplacer qu’un fonctionnaire sur cinq partant à la retraite, retour à
la retraite à 60 ans alors que la réforme d’Éric Woerth aurait dû aller encore plus loin (car elle
n’équilibre pas suffisamment les comptes sociaux), dépenses nouvelles pour les contrats de génération (qui ne marcheront jamais d’après une spécialiste du droit social, Martine Aubry le 28 septembre
2011), le refus de la règle d’or qui pourtant protégerait les citoyens de gouvernants démagogues,
etc.
"À bas le grand capital !"
De même, les mesures fiscales ne devraient s’imaginer que dans le but de ne pas plomber les perspectives
économiques et les capacités d’investissement dans les entreprises. Or, c’est un peu le contraire qui est envisagé, malgré les belles déclarations d’intention.
La suppression de la hausse de la TVA prévue au 1er octobre 2012 (passage de 19,6% à 21,2%) est une profonde erreur. D’une part, la TVA n’est pas un impôt injuste, au contraire, c’est un impôt qui
est le plus facilement évitable ; pour cela, il suffit de ne pas consommer, de consommer moins, et les plus riches consommeront de toute façon plus (et après tout, si un "pauvre" économise
pour s’acheter une Porsche, en quoi serait-ce immoral qu’il acquitte le même montant de taxe qu’un "riche" qui ferait le même achat ?). D’autre part, c’est un levier inodore et rapide pour
apporter du "cash" à l’État ou au contraire (c’était le but de Nicolas Sarkozy), pour accroître la compétitivité des entreprises.
Si la mise en place d’une tranche d’imposition sur le revenu à 45% ne ma paraît pas démesurée (reste à savoir
à partir de quel seuil), l’imposition à 75% des revenus supérieurs au million d’euros, revenus certes
démesurés mais taux d’imposition dément et confiscatoire, va être très rapidement contreproductive. Notamment sur l’investissement des entreprises (il faut admettre que ce sont ceux qui ont de
l’argent peuvent financer les fonds propres, qu’on les aime ou qu’on les déteste !), et surtout, sur la transmission des entreprises qui risque de se réaliser au-delà de nos frontières
nationales pour échapper à ce taux totalement politicien et démagogique.
De la même manière, le plafonnement des niches fiscales (dont il convient de revoir le principe de certaines,
certes) pourrait avoir des effets pervers dans certains secteurs, celui des emplois de service à domicile, ou dans la construction à l’Outre-mer.
Poursuite de la politique des investissements d’avenir
J’ai noté cependant avec joie que le gouvernement allait continuer les investissements d’avenir (8 des 35 milliards d’euros n’ont pas encore été affectés) initiés par Nicolas Sarkozy
sous l’égide du commissaire général aux investissements René Ricol (qui a démissionné après l’élection présidentielle) et son successeur Louis Gallois, nommé récemment en conseil des ministres,
paraît avoir le bon profil pour poursuivre cette politique dans les meilleures conditions.
La mise en place d’un livret d’épargne pour l’industrie semble aussi une bonne idée avec le renforcement des
capacités de financement des entreprises et l’appui des régions.
Attention de ne pas succomber au protectionnisme
Je reste néanmoins sceptique sur cette "diplomatie économique" qu’appelle de ses vœux le Premier Ministre,
reprenant l’expression, jolie mais vide de sens, de "juste échange" pour qualifier une tentation de protectionnisme qui ferait perdre beaucoup à la France. C’est vrai que la France ne peut pas
rivaliser avec les coûts productifs chinois, par exemple, mais ne décrétons pas des normes protectionnistes (sociales et environnementales) pour l’importation dans une période où justement, le
marché intérieur chinois commence à s’ouvrir.
Symboles et mesurettes
Au chapitre des mesures qui ne coûtent rien et qui suivent un cadre idéologique qui ne me paraît pas
favorable à l’esprit de la République, il y a eu toute une série de décisions annoncées, comme le droit de
vote des étrangers (qui violerait le principe de notre citoyenneté), le mariage homosexuel, la
proportionnelle pour les législatives etc.
Dans ce lot de ces mesures annexes, il y en a bien sûr certaines qui peuvent faire plaisir comme l’abrogation
des conseillers territoriaux (la loi n°2010-1563 du 16 décembre 2010 avait été fortement contestée par les élus locaux et imposée au forceps par
Nicolas Sarkozy), la fin du cumul des mandats entre parlementaires et chef d’un exécutif local (effective en 2014), et aussi, j’espère (mais à ma connaissance, cela n’a pas été confirmé), le
récépissé du contrôle d’identité.
Le style très "sage" du gouvernement actuel pourrait rassurer. Jean-Marc Ayrault, Pierre Moscovici, Michel Sapin, Marisol Touraine et Manuel Valls sont des personnalités modérées qui paraissent raisonnables. Mais ce qui peut inquiéter, c’est cette
volonté de vouloir absolument mettre en application des mesures purement électoralistes qui n’ont aucun sens économique. Ce fut le cas des 35 heures (heureusement réalisées en période de pleine
prospérité économique mondiale), et c’est aujourd’hui le cas avec le recrutement des 60 000 fonctionnaires supplémentaires et du taux de 75% de l’IR. Cet absolu entêtement alors qu’il n’y a
plus nécessité (ils sont élus !) a de quoi effrayer pour la suite des événements.
Le PS, seul et unique responsable de la période 2012-2017
L’intérêt d’avoir demandé un état des lieux sur la situation financière de la France, audit qui n’a pas eu à
faire rougir le gouvernement précédent dont l’action a été saluée pour le premier président socialiste, c’est que le pouvoir socialiste, fort de sa conquête de toutes les institutions de la
République, nationales et locales, est désormais dans la plus totale de ses responsabilités et il devra les assumer pleinement à l’heure du bilan, notamment du point de vue budgétaire (déficit,
dette) et économique (chômage, croissance).
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (4 juillet
2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Discours de politique générale de Jean-Marc
Ayrault (texte intégral).
Vote de confiance du 3 juillet
2012.
Rapport de la Cour des Comptes du 2 juillet
2012.
Sondage sur l’effondrement de la popularité de François
Hollande (2 juillet 2012).
Le programme socialiste (à
télécharger).
Nicolas Sarkozy et son bilan.
François Hollande
et son fantôme.
François Hollande sans état de grâce.
Gouvernement
Ayrault.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/ayrault-le-redressement-nouveau-119495