Le problème avec le Festival Paris Cinéma – vous me direz que c’est un problème de riche et vous aurez raison – c’est qu’il est si passionnant de se plonger dans les films du pays mis à l’honneur que l’on en oublierait presque d’aller voir les films projetés en compétition. Oui, il y a une compétition au festival, des films indépendants de tous pays jugés à la fois par un jury de professionnels, un jury de blogueurs (je peux postuler pour l’année prochaine ?) et le public. L’année dernière déjà, je n’avais pu voir qu’un film de la compétition, « Hospitalité », quand « La guerre est déclarée » raflait sans surprise presque tout.
Est-ce une coïncidence de retrouver le cinéaste coréen au casting de « Our Homeland » ? Filmé simplement, caméra à l’épaule, avec une sincérité confondante, les yeux dans ceux de personnages fracassés, « Our Homeland » m’a indubitablement rappelé dans son style l’écorchure bouleversante de « Breathless ». Ceux qui ont fréquenté le Festival Franco-Coréen du Film ces dernières années se souviennent peut-être du nom Yang Yong-Hi, la réalisatrice de « Our Homeland ». Elle y avait notamment présenté son documentaire « Dear Pyongyang » qui déjà la faisait se pencher sur l’histoire de sa famille. Car si ce nouveau film est son premier long-métrage de fiction, de fiction il est finalement à peine question comme nous l’a confirmé Yang Yong-Hi, présente en fin de projection. L’histoire décrite dans « Our Homeland » est la sienne. Ce frère envoyé en Corée du Nord par leur père, c’est le sien. Cette communauté nord-coréenne relocalisée au Japon suite à la guerre et à la partition, c’est la sienne.
Il serait mensonger de dire que le fait qu’il s’agit d’une histoire vraie n’influe pas sur l’émotion qui se dégage du film. Mais c’est aussi justement grâce à cette intimité entre l’histoire et la réalisatrice que celle-ci parvient à trouver une justesse et une sobriété admirables qui habitent le film. Parce que c’est son histoire, Yang Yonghi sait trouver les mots et les images pour crier sa douleur dans un silence déchirant. La rage et l’émotion qui se dégagent affleurent autant par ce qui se dit et se voit que par l’invisible et l’indicible, comme pour montrer que même en dehors de ses frontières infranchissables, la Corée du Nord et son régime imposent un cruel silence, une douleur inexprimable.
Je ne sais pas si c’est un hasard que trois ans plus tard, c’est dans ce même festival, dans ce même cinéma, dans cette même salle que j’ai découvert « Our Homeland » après y avoir découvert pour la première fois « Breathless ». Mais je sais que l’émotion est aussi encore au rendez-vous, frappante, amère et belle. Je sais que cette image du frère fredonnant la chanson de la balançoire, assis dans cette voiture le ramenant vers son inextricable destin, restera longtemps en moi. Je ne sais pas si je reverrai un film de la compétition à Paris Cinéma avant la fin du festival, mais celui-là, je veux le voir figurer au palmarès, et je veux surtout le voir trouver un distributeur en France. A bon entendeur…