Mardi 3 juillet à 15 heures, Jean-Marc Ayrault a livré son
discours de politique générale, comme convenu et sans surprise.
Le candidat devenu président Hollande avait rappelé qu'il
voulait normaliser notre fonctionnement institutionnel.
A cet égard, la fonction de premier ministre n'était plus
celle d'un pion que l'on déplace en fonction de l'humeur d'un Monarque.
Pour Ayrault, ce discours était donc l'un de ses premiers
moments. Celui où l'on pose les principes et les promesses à l'aune des quelles son gouvernement sera jugé.
Le bilan
Le mot du jour était redressement, prononcé 22 fois en une heure et près de trente minutes de discours. Dès les premiers instants, le premier ministre a rappelé sa
mission: « conduire le redressement de notre pays dans la
justice ». Il ne s'agissait plus de changer la vie. Le changement promis par François Hollande était celui de
la gouvernance et du redressement. Ayrault voulait être optimiste même si la tâche était évidemment rude.
Notre pays s’est affaibli économiquement, il s’est dégradé socialement, il s’est divisé politiquement, il s’est abimé moralement.Hasard du calendrier, le domicile et les bureaux de Nicolas Sarkozy étaient perquisitionnés dans le cadre de l'affaire Bettencourt. L'ancien Monarque risquait fort de devenir le 12ème mis en examen de ce scandale.
A quelques centaines de mètres de là, Jean-Marc Ayrault continuait son discours. Il eut quelques mots de courtoisie républicaine: « Députés de la majorité comme de l’opposition, vous détenez une part égale de la souveraineté nationale. » La critique de la gestion passée fut directe mais rapide: « je ne suis pas venu lancer un débat sur l’héritage ». L'audit avait eu lieu, il a été publié la veille. La campagne était derrière nous, elle avait été gagnée: « Cette majorité n’a pas été élue pour trouver des excuses, mais des solutions. » Mais tout au long de son intervention, par petites touches, il posa ses différences.
Pour justifier cette nécessité du « redressement dans la justice », Ayrault invoqua la jeunesse et la souveraineté (« une France endettée est une France dépendante »). Ces arguments auraient pu être ceux d'un gouvernement sarkozyste. La différence, qu'Ayrault voulait revendiquer, porterait sur la justice de la démarche et des efforts
Le premier ministre ne promettait ni rupture ni cassure. Il rappela ses trois objectifs, et il sera jugé dessus: « la sauvegarde de notre modèle républicain, la pérennité de notre système social, le redressement économique pour l’emploi ». Il rappela trois priorités, la jeunesse, la sécurité et la justice
La différence, Ayrault voulait également la marquer dans l'attitude. Nicolas Sarkozy aimait fustiger et provoquer, le premier ministre de François Hollande restait fidèle à la méthode de son mentor.
Comme tout discours, il eut ses formules. Nous pouvions apprécier celle-là: « Je n’accepte pas d’entendre dénoncer une « fiscalité confiscatoire », par ceux-là même qui s’autorisent parfois des rémunérations au-delà de tout entendement.»
La méthode Ayrault
Le redressement passerait par la concertation, l'ouverture, la durée: « Le changement ne se décrète pas. Il ne se mesure pas au nombre de lois votées.» Ayrault livra donc un discours de méthode carle fond, n'en déplaise à quelques sarkozystes aigris, était connu.
Finis la boulimie législative, la précipitation politique, « la décision d’un seul », les incantations rapides, les provocations faciles, les « sommets spectacles »; place à la concertation, aux corps intermédiaires, au temps de la réflexion.
La méthode Hollande/Ayrault, c'est traiter les Français « en adultes »; c'est « prendre le temps d’écouter, d’évaluer, de décider, de faire partager », prendre le temps de réussir ces grandes réformes de structure (réforme fiscale, jeunesse, redressement productif, décentralisation, transition écologique et énergétique); éviter de stigmatiser les chômeurs, les patrons, les fonctionnaires, les étrangers.
Etre juste, c’est ne pas considérer chaque bénéficiaire du RSA comme un fraudeur potentiel ou un fainéant.
Le planning
« Hollande »
Ayrault a promis quelques réformes rapides, mais pas en 100
jours. Nous nous rappelions ce paquet fiscal voté en urgence dès le mois d'août 2007, puis patiemment détricoté par le réalité et le renoncement tout au long du
quinquennat.
La méthode Hollande/Ayrault s'adossait à un
planning: la conférence sociale de la semaine prochaine serait le Grenelle que Sarkozy n'avait jamais voulu organiser en 5 ans de mandat. Elle portera sur 7 sujets (l’emploi ; la formation, le
développement des compétences et la sécurisation des parcours professionnels ; les rémunérations « et notamment les bas salaires » ; l’égalité professionnelle femmes-hommes et la qualité de vie au travail ; « le redressement productif national » ; « l’avenir de nos retraites et de notre protection sociale »; le rôle de nos services publics et de ses agents). Suivra une conférence environnementale à la rentrée. Serait-ce le
nouveau Grenelle de l'environnement version Hollande ?
A l'automne, la loi de finances sera
l'occasion d'une réforme fiscale. Et Ayrault rappelle deux promesses: « l’impôt sur le revenu sera rendu plus juste, plus progressif et plus
compréhensible » (nouvelle tranche d’imposition à 45%; imposition exceptionnelle à 75% pour les revenus
annuels supérieurs à un million d’euros); et « les revenus du
capital seront imposés au même niveau que ceux du travail ».
Suivront trois autres réformes: l'acte trois
de la décentralisation, un « plan de reconquête
industrielle » prochainement présenté (priorité aux PME dans les appels d'offres publics), et une
réforme bancaire ( avec séparation des activités de placements et d'investissement; création du livret épargne industrie et de la Banque publique d’investissement).
Redressement juste ?
Ayrault s'est essayé à décrire ce qu'il
entendrait par redressement juste. Il a rappelé des évidences à gauche contestées à droite, comme celle-ci: « faire fonctionner des services publics de qualité participe à l’attractivité d’un
territoire ». A droite, ou dans les salles de marchés, la dépense publique est une aberration, une injuste
ponction des revenus de quelques-uns au bénéfice du plus grand nombre que l'on dépeint facilement comme fainéant. Quand la Sécu est déficitaire à coup d'exonérations sociales, on explique qu'il
faut réduire ses dépenses, pour mieux oublier que la santé coutera toujours mais sans solidarité.
Jean-Marc Ayrault est finalement resté timide sur cette
reconquête idéologique qu'il est nécessaire de porter. Il avait raison de débuter son intervention par le patriotisme. Dans quel pays voulons nous vivre ?
Il a évoqué, sans la citer, la France des
Invisibles, « ces millions de nos concitoyens qui vivent
aujourd’hui éloignés des grands centres urbains », « qui ont aujourd’hui les conditions de vie les plus dures ».
A ce moment là, il fut évidemment applaudi à
gauche. Car, la gauche a besoin d'être rassurée que cette
rigueur sera juste.
Du sang et des larmes ?
Le premier ministre a confirmé une croissance très basse:
0,3% cette année puis 1,2% l'an prochain. Là encore, il y avait du changement. Cinq années durant, Sarkozy et ses collaborateurs-ministres nous annoncèrent des prévisions
farfelues.
Les priorités de Hollande seront respectées, a
promis Ayrault, « sans pour autant creuser nos déficits et notre
dette ». Et d'ajouter: « Cela exigera des choix dans tous les autres secteurs. Ces efforts devront dépendre non
pas d’une règle mathématique aveugle et absurde, mais de l’évaluation des politiques conduites et de leur efficacité. »
La maîtrise des dépenses est
« indispensable», mais, a-t-il rappelé, « elle ne sera pas suffisante.» Là aussi, il fut solidement applaudi à gauche, quand il promit des impôts pour « ceux qui jusqu’ici ont été exonérés de l’effort collectif ». Rappelons l'ampleur des niches fiscales, ou ce simple bouclier fiscal qui, en 2012 encore, coutera 735 millions
d'euros.
A droite, des huées et des silences
Y avait-il des surprises dans le discours de
politique générale du premier ministre Jean-Marc Ayrault ? Oui, quelques unes. Elles émanaient des rangs de droite. On entendit des sifflements quand Jean-Marc Ayrault annonça une
« rupture avec la Françafrique », le mariage des homosexuels promis pour le 1er semestre 2013 (« Le droit au mariage et à l'adoption sera ouvert à tous les couples, sans
discrimination»), ou le droit de vote des étrangers résidant depuis cinq ans sur le territoire pour les élections
locales.
Jean-Louis Borloo, nouveau président du groupe UDI, séparé
d'une travée seulement du dissident Olivier Falorni, s'absenta en plein discours.
Sitôt le discours
terminé, la quasi-totalité des députés UMP quitta l'hémicycle pour ne pas assister à la suite des interventions. Jean-François Copé et quelques ténors surjouèrent leurs déceptions devant
les caméras de télévision. Ils avaient caricaturé Hollande en Hugo Chavez pendant la campagne. Et voici qu'Hollande faisait du Hollande, et Ayrault du Ayrault. Un vrai cauchemar pour ces anciens perroquets de Sarkofrance...
Il y avait eu une minute de silence pour Olivier Ferrand,
décédé d'un arrêt cardiaque le samedi précédent. Il fut aussi le sujet des premières minutes du discours de Bruno le Roux.
Le premier ministre conclua:
« Le redressement prendra du temps, ce sera difficile. Mais nous
réussirons, Mesdames messieurs les députés ! »
Oui, ce sera difficile. Espérons que ce sera
juste.
Sur 544 votants,
17 ont voté blanc, 225 se sont opposés et 302 socialistes, écologistes et radicaux de gauche ont voté pour la confiance. Les prétendus centristes avaient voté contre.