Au retour, à sept kilomètres de la forteresse, nous nous arrêtons au monastère de Tandrok (Chang Zu pour les Chinois). Il est « le plus ancien monastère » de la vallée selon le guide, croyons-le encore. Bâti au VIIème siècle par le roi Songtsen Gampo sur le modèle du temple Jokhang de Lhassa – en plus petit - il servait de palais d’hiver.
L’intérieur y est sombre à souhait. La légende veut qu’il y eût de l’eau en cet endroit – ce qui n’est pas étonnant étant donnés les caprices des méandres du Tsangpo. Un dragon y habitait donc (où il y a eau il y a dragon). Le roi, qui convoitait l’endroit parce que favorable à bâtir pour d’obscures raisons de géomancie, demanda l’aide de deux magiciens pour chasser le dragon. Ils requirent l’oiseau mythique Roc de combattre le saurien et l’oiseau réussit à le tuer d’un coup d’aile sur la tête. L’eau s’est alors retirée et, en signe de gratitude, Songtsen Gampo bâtit le monastère… On nous dit qu’il fut restauré et agrandi aux XIème et XVIIème siècles, puis à nouveau en 1988, 20 ans après le passage des hordes de Mao-khan.
Le monastère contient un temple avec ses grosses portes de bois aux ferrures ouvragées, ses inévitables chapelles aux diverses statues bouddhiques et aux offrandes superstitieuses. Dans les travées de la salle centrale psalmodient les moines, du plus petit (7 ans) au plus vieux (80 ans ?). Les murs sont peints de scènes sacrées en couleurs vives. Ces bandes dessinées catéchistes pour le peuple sont analogues aux fresques de nos chapelles et aux vitraux de nos cathédrales. Elles enseignent l’histoire de la religion.
Une famille de pélerins tourne de chapelle en chapelle, un sac de beurre de yack en main. L’on y puise généreusement à la cuiller de bois pour alimenter les lampes à beurre devant les statues. La spiritualité, même illettrée, se sert de la matière pour animer ces petites flammes pures qui montent droit dans l’air immobile. Ce sont ces âmes fragiles qu’il importe de protéger des impérialismes de la planète, depuis le milliard et demi de Hans (contre 7 millions de Tibétains) jusqu’aux intellos-à-bonne-conscience en Europe, qui se servent de la “cause tibétaine” pour se faire mousser une fois de plus. La voie moyenne n’est jamais simple à suivre, les critiques fusent de toutes parts, et notamment des extrémistes du Progrès ou du Conservatisme. Mais le fil du rasoir est la Voie juste, pour un bouddhiste. Respectons-la.
L’autre main du pélerin tient une la liasse de billets d’une roupie, qu’il colle un peu partout. Signe du profond réalisme tibétain : le spitituel ne va jamais sans le matériel. Ces roupies servent d’offrandes aux moines qui entretiennent le temple, font vivre la tradition lettrée et enseignent aux enfants. Attitude typique du bouddhisme avec, pour symbole, le lotus : cette plante naît dans la vase des profondeurs avant de lancer sa tige vigoureusement vers la surface; là, la feuille s’étale pour nourrir la racine d’oxygène, permettant à sa fleur en forme d’oeuf d’éclore vers la lumière. Le lotus est à l’image de l’humanité qui doit sortir de son animalité biologique pour naître à l’esprit. Une fleur, une âme. Avec ce rose délicat à la base des pétales qui sont comme une rougeur adolescente. Une roupie, ce n’est rien du tout aujourd’hui en valeur marchande, mais le symbole demeure.
Un moinillon adolescent psalmodie tout seul à l’extérieur, fil de laine rouge au cou, collier de graines pour la prière. Pourquoi est-il au-dehors ? Il peut être en retard, en révision, ou puni… Il porte la tunique traditionnelle couleur bordeaux sur un fin débardeur qui lui laisse bras et cou nus selon la tradition.
Nous revenons à l’hôtel juste pour le déjeuner chinois – et on ne plaisante pas avec les horaires syndicaux en Chine. Il est plus varié que le dîner et comprend du bœuf émincé, du porc, du canard, en plus des légumes divers cuisinés au gingembre et à la sauce soja. C’est un self service et chacun va remplir son assiette selon son goût et sa faim. Mais c’est toujours la cuisine de Pékin et pas celle de Lhassa.
A suivre…