Assez souvent, lorsque je discute de management et de gestion d’entreprise, on me dit que seule telle ou telle pratique garantit la réussite d’une entreprise ou d’un projet. Cela m’amuse, car je pense au contraire qu’il n’y a aucune recette miracle, et que chaque situation est différente.
Pour illustrer cela, j’aime prendre l’exemple de trois entreprises dont les dirigeants sont partis dans des directions clairement différentes. Ces entreprises ont connu le succès, si bien qu’on ne peut pas dire que les méthodes utilisées sont mauvaises.
Les entreprises en question sont Apple, Google et Virgin.
Apple
Tout le monde a entendu parler, ne serait-ce qu’un minimum, de la manière dont fonctionnait Apple. Sur la période 1997-2011, quand Steve Jobs en tenait les rênes, cette entreprise était l’exemple même de la centralisation de l’information : tout le monde prenait ses ordres et référait directement à une unique personne, qui fait circuler l’information comme elle le souhaite.
Cette méthode a prouvé son efficacité. Il suffit que le patron détecte une priorité pour que l’effort de l’entreprise soit très rapidement dirigé là où il le faut. Si le big boss a le soucis du détail, cela façonnera la culture d’entreprise, et les produits qui sortiront seront exemplaires.
On connait aussi les inconvénients. Une seule personne peut difficilement gérer tous les aspects d’une entreprise, surtout lorsque le nombre de ses produits et de ses services augmentent. Et même si les fanboys me contrediront, tout ce qu’a sorti Apple n’était pas d’égale qualité (MobileMe, Apple TV 1ère génération, iBook 2ème génération, certains iPod, …). Sans parler des lubies que l’entreprise peut se voir imposer sans d’autre choix que de les subir.
Plusieurs livres ont été publié dans les années 2000, à propos de la « Méthode Google », pionnière du « Management 2.0″. Un des points les plus intéressants était l’influence du milieu universitaire : les créateurs de Google − Larry Page et Sergueï Brin − étaient des chercheurs, alors ils embauchaient des chercheurs. Pendant très longtemps, il fallait un doctorat pour y être recruté. L’équation semble couler de source ; les personnes qui ont fait de la recherche ont l’habitude de travailler seules, tout en étant très productives.
Cela a amené à un système très décentralisé, constitué d’un grand nombre d’individualités qui interagissent ensemble. Chaque personne ayant ses projets et ses objectifs, le résultat peut être impressionnant d’efficacité. C’est d’ailleurs ce modèle qui a permis à Google de développer un grand nombre de ses services (Gmail, Reader, …).
Le revers de la médaille, c’est que l’entreprise peut se transformer en monstre sans tête, en perpétuel mouvement mais sans direction coordonnée. Pendant longtemps, on entendait parler de services pour lesquels le manque d’interlocuteur clair était un frein.
Un autre inconvénient apparaît lorsque − comme Google − l’entreprise grossit tellement qu’elle est obligée de revoir ses critères. Cela fait bien longtemps que Google ne recrute plus uniquement des docteurs. Et même si les méthodes de management ont dû s’adapter à cela, on peut imaginer aisément que l’organisation générale s’en est retrouvée profondément modifiée.
Virgin
Il y a plusieurs années, j’ai vu à la télévision un reportage sur Virgin et son créateur, Richard Branson. Et même si je ne me souviens plus bien du contenu du reportage, il y a un détail qui m’avait marqué. À l’époque où Virgin était principalement une maison de disques (avant qu’elle ne devienne une marque de cola, de transport aérien et ferroviaire, de téléphonie mobile ou encore de tourisme spatial), Richard Branson avait mis en place une organisation très originale.
Virgin n’était pas une unique entreprise ; c’était une constellation de petites compagnies. Dès que l’une de ces unités dépassait un certain nombre de personnes (une vingtaine, dans mon souvenir, mais je peux me tromper), il la scindait en deux.
Son principe était qu’une petite entreprise est toujours plus efficace, productive et réactive qu’une grosse société. Et partant de là, il faisait en sorte que toutes ces petites entreprises aient chacune des objectifs financiers propres, devenant cliente et fournisseur les unes des autres. Un peu comme si chaque groupe de projet devenait une entité business autonome.
Je suis assez d’accord sur le principe ; on voit plus d’innovation dans les start-ups que dans les multinationales, et une petite équipe sera toujours plus efficace qu’une grosse. C’était de l’agilité avant l’heure, appliquée au niveau de l’entreprise.
Il y a forcément des inconvénients à ce modèle, mais c’est celui qui est le moins bien connu. Je peux imaginer qu’il soit difficile de maintenir un équilibre cohérent à une telle myriade de TPE, et qu’on risque de se retrouver avec à la fois les faiblesses structurelles des start-ups et les lourdeurs d’une grande société.
Au final
Tout ça pour dire qu’il n’existe pas une unique vérité. Je suis persuadé que chacune de ces méthodes n’aurait pas pu fonctionner dans d’autres circonstances. C’est dans ces conditions que les créateurs de ces entreprises se sentaient à l’aise ; ils ont donc bâti leurs empires sur ces bases, en mettant en place ce qu’il fallait pour que les choses fonctionnent comme ils le désiraient.
Si on se réfère à d’autres types de modèles, on pourrait dire qu’Apple est une monarchie, Google est un anarchie, alors que Virgin est une fédération (au sens fédéralisme ou confédération).
Je ne veux pas faire de politique, donc je ne dirais pas si un modèle est meilleur que les autres à mes yeux. Par contre, ce que je remarque, c’est que ce sont trois méthodes de management atypiques, mises en œuvre dans trois entreprises d’exception.
Et on en revient à mon message habituel : Imprégnez-vous de ces exemples, approfondissez-les si vous le souhaitez, mais n’essayez pas de les appliquer tels quels dans votre propre entreprise. Vous n’êtes pas Jobs, Page/Brin ou Branson ; ça ne fonctionnera pas.