Le mot qui me vient à l’esprit pour résumer les premiers pas du gouvernement, c’est le mot public : service public, secteur public, banque publique, entreprise publique, etc. Voilà la solution à nos problèmes. En réalité, c’est cette obsession du secteur public, donc de l’Etat, qui nous mène à la ruine.
Par Jean-Yves Naudet.
Article publié en collaboration avec l'Aleps.
La Banque publique d’investissement
Parmi les propositions phares de François Hollande, il y a le projet de Banque publique d’investissement. Il paraît que cela va nous sortir de la récession, car cette banque publique va financer les petites et moyennes entreprises. C’est le fer de lance de la politique industrielle et du « redressement productif » avec lequel Arnaud Montebourg nous fait tant rêver. Notons que ce ministre a nommé 22 délégués au redressement productif, un par région, de hauts fonctionnaires, qui, comme chacun le sait, savent mieux créer des emplois et « veiller », comme l’a dit le ministre, que des entrepreneurs qui ont eu le tort de ne pas faire l’ENA.
On ne savait pas que la France manquait de banques et que celles-ci étaient incapables de financer les entreprises. Mais sans doute le gouvernement pense-t-il que les banques privées ne savent pas quelles entreprises financer et prêtent à n’importe qui, en finançant stupidement les entreprises rentables, au lieu de soutenir les canards boiteux ou les entreprises dont un organisme central a indiqué l’utilité. Il est sûr qu’une banque publique d’investissement va savoir déceler les vrais projets à financer, sans se soucier de broutilles telles que leur rentabilité.
Le gouvernement a avancé un argument imparable : pallier les défaillances du marché. Car bien sûr ni la bourse, ni les banques ne songent à financer l’industrie ! On commencera fort modestement : 20 milliards de dotation au départ, grâce au doublement du plafond du livret de développement durable. On se demande par quel mystère toutes les économies de marché du monde ont pu se développer sans banque publique d’investissement. Mais la France va réparer cet oubli, et renouer avec la tradition de la banque soviétique Gosbank.
Le Fonds stratégique d’investissement
Tout cela est d’autant plus étonnant que nous disposons déjà du plus gros établissement financier français, la Caisse des dépôts, établissement public, qui détiendra avec l’Etat le capital de cette banque : public plus public, ça reste public. Mais nous avions aussi le « Fonds souverain à la française », le FSI (Fonds stratégique d’investissement), qui prétendait déjà jouer un rôle de ce type, avec le succès que l’on sait. Bref, on ajoute du public au public, pour financer ce que d’habiles fonctionnaires auront décidé être les priorités de notre économie. Quand on connaît les échecs passés de nos politiques industrielles, on peut être sceptique.
Mais les banques publiques s’accompagnent d’entreprises publiques. Comment est-ce possible, puisque le gouvernement « ultralibéral » précédent avait tout privatisé ? Justement, il ne devait pas être si libéral que cela, puisque le secteur public français reste le plus important des économies de marché. La plupart des « services publics » sont toujours détenus majoritairement par l’Etat. D’ailleurs, l’actuel gouvernement entend restaurer les services publics, que Bruxelles ouvre peu à peu à la concurrence et qui ont en outre été privatisés chez nos principaux partenaires.
Les entreprises publiques
Au-delà des prétendus services publics totalement sous la coupe de l’Etat, celui-ci via l’Agence des participations de l’Etat, détient 15,9% d’Air France, 10% d’Areva (mais 77% sont détenus par la CDC et le CEA, donc la réalité est que la part publique est de 87%), 15% d’EADS, 13% de France Telecom, 36% de GDF Suez, 15% de Renault (on sait que sans l’Etat personne ne fabrique d’automobiles !), 30% de Safran, 27% de Thales, mais aussi des parts dans CNP assurances ou ADP.
Il faut aussi tenir compte de ce que détient le Fonds stratégique d’investissement, totalement étatique. Un portefeuille de près de 15 milliards, qui vient s‘ajouter à la liste précédente, parfois dans les mêmes entreprises (comme France Télécom ou ADP, ce qui augmente encore la part de l’Etat), parfois dans d’autres entreprises. La pieuvre étatique étend ses ramifications dans tous les secteurs. Encore une preuve supplémentaire de cet ultralibéralisme du gouvernement précédent que dénoncent les socialistes.
Ultralibérale aussi la part des dépenses publiques dans le PIB (56%, record d’Europe), qui fait que, comme le montre Contribuables associés, les Français travaillent pour l’Etat jusqu’à la mi-juillet. Le retour en force du contrôle public des prix, dont nous avons parlé il y a quinze jours, mais aussi du salaire minimum et désormais maximum pour les entreprises publiques, viendra encore accentuer les choses. Ne parlons pas de toutes les réglementations publiques, administratives, sociales, qui accentuent la main mise de l’Etat sur la vie économique, ni des dettes publiques, autrement plus lourdes que les dettes privées, ou de l’école publique, qui empêche tout développement du privé.
Quand Lacordaire fait du Tocqueville
Reconnaissons que cette hypertrophie de ce qui est public, cet étatisme, n’a pas été inventé par François Hollande. C’est une tradition qui remonte à Colbert, au Jacobinisme, à Napoléon, largement partagée après la guerre par la droite et la gauche. Mais François Hollande est en train d’en rajouter une couche, au moment où nos partenaires font reculer l’Etat, ce qui accentue encore l’exception française.
Cet article étant le dernier avant la trêve estivale, prenons un peu de recul et citons le père Lacordaire, plus connu pour son libéralisme politique qu’économique. On a oublié qu’il avait succédé à l’Académie française à Tocqueville, dont il a fait l’éloge, comme c’est l’usage, en 1861. Que disait Lacordaire ?
« L’Américain ne laisse rien de lui-même à la merci d’un pouvoir arbitraire. Il entend qu’à commencer par son âme, tout soit libre de ce qui lui appartient et de ce qui l’entoure : famille, commune, province, association pour les lettres ou pour les sciences, pour le culte de son Dieu ou le bien être de son corps. Le démocrate européen [traduisons : le Français à l’époque], idolâtre de ce qu’il appelle l’Etat, prend l’homme dès son berceau pour l’offrir en holocauste à la toute puissance publique. Il professe que l’enfant, avant d’être la chose de la famille, est la chose de la cité, et que la cité (…) a le droit de former son intelligence sur un modèle uniforme et légal. Il professe que la commune, la province, et toute association (…) dépendent de l’Etat, et ne peuvent ni agir, ni parler, ni vendre, ni acheter, ni exister enfin sans l’intervention de l’Etat et dans la mesure déterminée par lui, faisant ainsi de la servitude civile la plus absolue, le vestibule et le fondement de la liberté politique. L’Américain ne donne à l’unité de la patrie que juste ce qui lui faut pour être un corps ; le démocrate européen opprime tout l’homme pour lui créer, sous le nom de patrie, une étroite prison ».
Nous en étions là en 1861 ; nous revoilà au même point en 2012. Rien de nouveau sous le soleil de France.