Franz BARTELT, Le testament américain, Gallimard, Paris, 2012 (133 pages); aussi disponible sous format ePub.
Baptisé comme il se doit, vu mes âge et lieu de naissance on n'y coupait pas, je m'estimais purgé du péché originel. Las, quelle eau lustrale me lavera des deux taches qui font ma réputation, et telles la marque de Caïn constituent ma malédiction : lire des livres difficiles, aimer le cinéma d'Éric Rohmer ? À l'ami qui me demandait une suggestion de lecture, j'ai vu au froncement du sourcil que ma réponse serait suivie aussitôt par le fatal « oui, mais c'est pour me distraire...» Avec moi, Françoise Sagan devient la dernière des intellectuelles germanopratines ! J'en suis venu à redouter de médire de la prose de Mlle B***, comme le fit avec tant de verve Éric Chevillard dans le Monde à propos de L'Anglais, de crainte d'assurer son succès. Quand à Rohmer...Que faire donc pour vous persuader de lire le nouveau roman de Franz Bartelt ? Pour deux heures, non pas à tuer, mais de pur bonheur de lire, accordez-vous ce plaisir, et comme si ce n'était pas moi qui vous le recommandais, mais telle demoiselle du micro ou des gazettes estivales.
Soit le petit, et obscurissime, village de Neuville -- ironique antinomie -- et son cimetière, legs du miliardaire américain Clébac Darouin (Darwin ?), dont les monuments permettront aux habitants de dormir, à perpétuité, bien mieux logés que dans leur lit chaque nuit. Sitôt celui-ci inauguré, voici que le maire, Albert Pneu, décède subitement, et qui sera son premier utilisateur. La vie continue, sous la férule du suppléant, le René Vendrèche :
« C'était un idiot des profondeurs, disait-on de lui. Il avait le physique d'un poisson plat et une façon d'être bête que les plus malins ne parvenaient pas à saisir. Il était bête, mais sans entrer dans aucune claissification de la bêtise. Souvent il proférait des stupidités irréprochables d'authenticité ... : "Les chaises sont faites pour avoir des pattes" ou bien "L'ombre de l'échelle est condamnée à être derrrière les barreaux".J'ai connu naguère, du temps de mes jours ouvrés dans l'administration, quelqu'une qui était, en matière de sottise, l'équivalent du Vendrèche, art qu'elle pratiquait avec une remarquable maîtrise, mais revenons à Neuville. On y vit de rien, d'une ruralité rustre et rébarbative, avec les rares joies d'un très rustique sexualité, partageant inceste de génération en génération et vaseline pour les nuits fastes, pour peu que l'on n'oublie pas que l'éducation sexuelle se fait principalement à l'étable... On n'y meurt pas d'amour, mais il arrive qu'on y meure raide ! Âmes chastes, ou de grande vertu, s'abstenir.
Pourtant même l'obscurité a une fin, qui prend la forme d'une présentatrice du journal télévisé de la région, laquelle ayant perfectionné des techniques naguère réservées aux horizontales avait gravi les échelons de la hiérarchie médiatique : elle ne ferait, impossible de résister à son regard « d'un bleu d'une intensité singulière, comme celui des lampes à souder », qu'une bouchée du René Vendrèche. La télévision venue, la vie, et la vie après la vie, ne seront plus jamais les mêmes pour les Neuvillois.
Leçon à tirer : il ne faut pas se méfier uniquement des Grecs et de leurs présents, mais aussi des richissimes américains et de leurs legs (Wallmart included).
Nul doute qu'Éric Rohmer en aurait tiré une remarquable adaptation.
Au René Vendrèche le dernier mot : « La tranche est au saucisson ce que l'oeuvre est à l'art. »
Présentation de l'éditeur :
Le village de Neuville s'enorgueillit d'avoir vu naître, à la faveur d'un accident d'avion, l'illustre Clébac Darouin, milliardaire américain. Celui-ci est resté reconnaissant à ce coin de campagne de lui avoir permis de voir le jour, et il inonde le bourg de ses bienfaits. Son dernier cadeau est le plus somptueux : il offre par testament aux Neuvillois un cimetière hors normes. Chaque habitant y aura sa tombe, vaste comme une maison. La cité funéraire se bâtit à l'abri de murs, et chacun y a son petit palais de marbre. Le nouveau cimetière va bientôt attirer les journalistes (dont la jeune et trop excitante Anne-Marie), mais aussi quelques complications inattendues... On retrouve ici l'univers inimitable de Franz Bartelt, et son style formidable de précision, d'ironie et de roublardise.Du même auteur : La mort d'Edgar
Le jardin du bossu
Pleut-il ?