L’erreur que vient de commettre Jean-Marc Ayrault en déclamant sa tirade de politique générale à l’Assemblée fait partie de celles qui ne pardonnent que rarement. Ca faisait des lustres qu’à gôche on nous peignait la politique à la manière de Corneille : telle qu’elle aurait dû être, noble, généreuse, courageuse, pétrie de bonnes intentions et bourrée de bons sentiments. Epique aussi si ce n’est carrément héroïque. Et v’là que d’un seul coup et sous couvert de « réalisme » il nous la joue façon Racine : telle qu’elle est. Les lecteurs de « Restons Correct ! » qui ont usé leurs fonds de culotte sur les bancs du lycée au temps où on osait encore initier les d’jeunes aux subtilités du théâtre classique s’en souviennent : question tragédie, Racine c’est de droite, pas de gôche. C‘est immoral, cynique et pas du tout politiquement correct : Britannicus se fait piquer sa copine par cette vipère lubrique de Néron, cette petite dinde d’Iphigénie échappe de justesse à l’erreur judiciaire et cette vieille emmerdeuse de Phèdre finit par succomber à une indigestion de (vraie) galette-saucisse.
Faut dire aussi à la décharge de m’sieur Ayrault qu’à la longue, Corneille ça peut lasser son monde. Certes, on y trouve quelques pépites plus ou moins volontaires genre le désir s’accroît quand l’effet se recule mais, la plupart du temps, c’est quand même un peu chiant. Chimène écartelée entre son amour pour Rodrigue et son ressentiment pour le meurtrier de son papa chéri, ça va cinq minutes mais rien ne prouve que ça tienne un quinquennat. En plus, outre le fait que Polyeucte se passe en Arménie ce qui pourrait indisposer les Turcs, faut quand même se rappeler que Le Cid s’est surtout rendu célèbre pour avoir cassé du Sarrazin à tour de bras dans la pampa ibérique. Et ça, par les temps qui courent et si jamais quelqu’un balance l’histoire au MRAP, c’est un coup à se prendre un procès au cul pour incitation à la xénophobie en général et à l’islamophobie en particulier. Ca ferait désordre. Faut aussi penser à 2017 et pas évoquer n’importe quoi, sinon ça risque de ne pas le faire question « prompt renfort en arrivant au port »…
Reste qu’à cause de cette faute de style, il se pourrait qu’après être triomphalement entré en scène côté Jardin des Espérances, ce gouvernement ne soit contraint de la quitter piteusement côté Cour des Comptes. Ca serait dommage, on commençait juste à s’habituer. C’est pourquoi nous nous permettons de recommander très respectueusement à monsieur le Premier Ministre d’envisager un changement - c’est à la mode - de répertoire. Molière, par exemple, offre aux politiques une large variété de références rarement utilisées et susceptibles de faire rire Josette et Marcel qui en ont quand même bien besoin. Si, pour des raisons évidentes, Les Fourberies de Scapin sont à proscrire, L’Avare avec Moscovici dans le rôle titre pourrait se révéler intéressant. Idem pour Le Bourgeois Gentilhomme avec Montebourg en tête d’affiche. Sinon et si la parité l’exige, il y a aussi Les Précieuse Ridicules avec de vastes possibilités de casting gouvernemental, Eva Joly comprise.
Toutefois, notre ultime conseil du jour sera pour le Président de la République : la prochaine fois, plutôt qu’un prof d’Allemand qui n’a pas l’air d’impressionner la mère Merkel, nommez plutôt un prof de Français à Matignon. Ca évitera au moins les déconvenues littéraires.