Hollande s'est réconcilié avec le
monde de la finance
Jean-Pierre Robin
Mis à jour le 03/07/2012 à 14:53 | publié le 03/07/2012 à 10:11François Hollande, le 29 juin à Bruxelles. Crédits photo : GEORGES GOBET/AFP
Fait marquant du Conseil européen des 28 et 29 juin, le président de la République accorde la plus grande attention aux marchés financiers.
Peut-on partager son bonheur avec ses ennemis? C'est le miracle auquel nous avons assisté à l'issue du Conseil européen «de la dernière chance», réuni à Bruxelles. Pour exprimer sa satisfaction, François Hollande s'est empressé de noter que les décisions prises par les vingt-sept chefs d'État ou de gouvernement «ont déjà eu des effets heureux» (sic). Il faisait allusion à l'euphorie des marchés financiers vendredi matin. C'étaient les seules réactions tangibles à cette heure et, aujourd'hui encore, à l'accord bruxellois, nettement plus substantiel que prévu. Sans compter bien sûr le concert de louanges mutuelles des protagonistes eux-mêmes.
La hache de guerre est-elle enterrée avec «le monde de la finance»? Le candidat Hollande l'avait cloué au pilori, lors de son meeting inaugural de campagne, le 22 janvier au Bourget. C'est «mon principal adversaire, un adversaire sans nom et sans visage», avait-il prévenu, dénonçant à sa façon le mythique «mur de l'argent». Puis il avait quelque peu corrigé le tir un mois plus tard, dans un entretien avec le Guardian de Londres: «La gauche a été au pouvoir durant quinze ans pendant lesquels nous avons libéralisé l'économie et ouvert les marchés à la finance et aux privatisations.»
De fait, le gouvernement de Lionel Jospin, durant les cinq années de cohabitation 1997-2002, a été le champion toutes catégories de la Ve République en matière de privatisation des entreprises publiques: de l'ouverture du capital d'Air France à celle de France Télécom, en passant par EADS, l'État a ainsi récupéré quelque 210 milliards d'euros.
Craintes allemandes
L'heure de la réconciliation avec les marchés financiers a sonné à la tête de l'État. Elle est certes dans l'ordre des choses. À moins de répudier ses dettes, telle la Russie de la révolution bolchevique, en 1917, un émetteur de dette «souveraine», comme on appelle les États, ne peut vivre heureux si ses créanciers ne le sont pas. Les uns et les autres sont condamnés à éprouver les mêmes sentiments de confiance réciproque.
Les Conseils européens au plus au niveau - pas moins d'une quinzaine depuis l'hiver 2009-2010 pour porter remède à la crise des dettes publiques - n'ont jamais eu d'autre but que de renouer avec les investisseurs internationaux. En ce qui concerne la Grèce, et également l'Irlande et le Portugal, tous trois sous perfusion de l'aide du FMI et de l'Union européenne, c'est hors de portée temporairement. Les marchés de capitaux privés leur sont fermés, au moins jusqu'en 2013.
Pour leur part, l'Espagne et l'Italie y ont toujours accès, mais à des taux exorbitants. La manœuvre consistait donc à redorer leur blason avec le soutien des autres États de la zone euro. Les fonds européens ad hoc, le FESF et leMES, peuvent mobiliser jusqu'à 750 milliards d'euros en les empruntant sur les marchés avec la garantie des États de la zone euro. Il leur sera désormais possible de porter plus aisément secours à l'Italie et à l'Espagne, et directement en faveur des banques espagnoles. Il s'agit bel et bien d'une mutualisation des dettes et cela s'apparente à des «eurobonds» (euro-obligations), mais dans des quantités limitées et à des conditions bien définies.
Moyennant quoi, les États européens ne pourront prétendre utiliser «la carte de crédit» de leurs voisins, pour reprendre l'image désormais célèbre de Jens Weidmann, le président de la Bundesbank. Lequel exprime parfaitement les craintes allemandes, tous partis politiques confondus, vis-à-vis des euro-obligations: le capital confiance dont bénéficie l'Allemagne s'épuiserait très vite si ses partenaires tiraient dessus ad libitum.
Dégonfler «une petite réputation franchouillarde»
Même les plus puissants ne peuvent s'exonérer du jugement de leurs créanciers. Était-ce pour amadouer ses partenaires européens du sommet de Bruxelles ou pour convaincre les marchés financiers du sérieux de sa gestion? François Hollande est arrivé jeudi avec l'annonce d'impressionnantes coupes budgétaires pour 2013 et il en est reparti le lendemain en promettant que le Parlement français ratifierait le «pacte budgétaire» européen signé par son prédécesseur le 2 mars dernier.
Entre-temps, il a obtenu satisfaction sur un «pacte de croissance», mais dont la valeur paraît plus symbolique que réelle. Sur la forme, il ne s'agit que de mesures ponctuelles, sans portée juridique quant à la politique économique européenne, comme aurait pu l'être une réécriture des missions de la Banque centrale européenne en faveur de la croissance. On y avait songé à Paris. Et, sur le fond, pas même la Commission européenne n'a cherché à évaluer l'impact des 120 milliards de travaux d'infrastructure tellement l'effet de relance immédiat devrait en être limité. Les chiffres évoqués, «de 0,2% à 0,3% du PIB européen, dans le meilleur des cas», rappelait dans Le Figaro du 30 juin Jean Peyrelevade, l'ancien directeur adjoint du cabinet de Pierre Mauroy de 1981 à 1983.
Mais il est vain de vouloir tout ramener à des chiffres. Pour François Hollande, il s'agissait aussi de dégonfler «une petite réputation franchouillarde avec l'abaissement de l'âge de la retraite, le coup de pouce au smic et la tranche d'impôt à 75%», selon l'expression narquoise de l'économiste Charles Wyplosz. Il faut savoir s'occuper de ses ennemis, même si cela peut aussi vous obliger à se garder de ses amis une fois rentré à la maison.