Aux rencontres du Forum Paris Europlace 2012 , nous avons interrogé Frédéric Oudéa le Pdg de la Société Générale.
Sommet européen, union bancaire, Libor, Bale3, banque universelle, règlementation, traders, nous passons en revue l'actualité du secteur bancaire et la stratégie de la Société Générale.
Frédéric Oudéa Pdg de la Société Générale (3/07/2012) © www.labourseetlavie.com
Voici le transcript de l'interview réalisée le 3 juillet 2012: Web TV www.labourseetlavie.com : Frédéric Oudéa, bonjour. Vous êtes le Pdg de la Société Générale. Nous sommes avec vous aux rencontres Paris EUROPLACE où vous intervenez sur une table ronde qui concerne la réforme des marchés financiers et comment optimiser le financement de l'économie ? C'est vrai que c'est le sujet crucial du moment, compte tenu de la crise économique et financière, de votre point de vue est-ce que ce qui s'est passé du côté européen a amélioré les choses ? On a parlé d'union bancaire, on a eu sauvetage de banques espagnoles, est-ce que l'environnement s'améliore de votre point de vue ? Frédéric Oudéa, Pdg de la Société Générale : Alors, d'abord effectivement, le financement de l'économie européenne, c'est le grand défi des prochaines années. Et quand on dit financement de l'économie, c'est principalement bien sûr le financement des entreprises via les actions comme d'ailleurs le crédit. Alors, c'est vrai que, et c'est une très bonne chose, le sommet européen a été bien accueilli et probablement le résultat a été supérieur aux attentes. Le sommet européen, je pense d'abord, réaffirme l'engagement d'avancer dans une construction intégrée de la zone euro et de l'Europe, et deuxièmement, met en place effectivement des ingrédients, des éléments de cette intégration, notamment une union bancaire. Alors, qu'est-ce que c'est que cette union bancaire ? C'est une supervision qui soit notamment confiée à un niveau qui dépasse le niveau national, et puis des mécanismes de solidarité qui rétablissent la confiance, préservent la confiance dans le secteur bancaire de la zone euro.Web TV www.labourseetlavie.com : Du côté des banques, on pourrait dire que là cela ne s'améliore pas. On a eu un scandale du côté du LIBOR avec Barclay mis en cause, on a eu les pertes accrues de JP Morgan, on a l'impression que de ce côté-là, rien ne change. Est-ce que c'est votre point de vue ?
Frédéric Oudéa, Pdg de la Société Générale : Non, et là évidemment, la résonnante de ces différents sujets impacte à nouveau l'image des banques, mais je crois qu'il faut sérier les problèmes et prendre un peu de distance. Depuis le début de la crise, les choses ont profondément changé, les modèles des banques ont profondément changé et toutes les affaires dont on parle, certaines des affaires en tout cas, remontent à avant la crise d'ailleurs. Donc je crois qu'il faut bien entendu continuer à renforcer la sécurité du système, mais bien entendu aussi prendre en compte les enjeux attachés une nouvelle fois au financement de l'économie. Une économie forte a besoin de banques, une économie forte a besoin de banques fortes. Le financement de l'économie européenne va dépendre dans les prochaines années de plus en plus des activités de marché, et l'enjeu bien entendu c'est justement que ces activités fonctionnent de manière efficace dans la zone euro et l'Europe de demain.
Web TV www.labourseetlavie.com : Alors, avec ces derniers événements, vous comprenez que certains poussent effectivement à une séparation des activités de banque de financement et d'investissement, et des activités de banque de détail en disant que finalement ces activités de banque de financement ne sont pas contrôlées ou contrôlables même ?
Frédéric Oudéa, Pdg de la Société Générale : D'abord, le point fondamental c'est que justement effectivement elles sont contrôlables et il faut que le contrôleur fasse bien son travail. La régulation, la qualité de la régulation, la qualité des contrôles, c'est cela qui fait le système, in fine la résistance du système. Quand on regarde finalement les graves crises depuis cinq ans, elles viennent toutes de crises immobilières, que ce soit aux États-Unis, en Irlande, en Espagne. D'abord, la première des leçons, les crises immobilières c'est cela qui déstabilise notamment les systèmes bancaires. Et derrière la crise immobilière, c'est la qualité de l'origination du crédit. Donc, en ce qui concerne l'organisation des banques, ce que nous disons, nous, c'est que le modèle de banque universelle a montré sa solidité à travers la crise. Et nous pensons qu'il faut préserver ce modèle, un modèle tourné vers ses clients, un modèle qui ne se consacre pas à la spéculation, des activités purement spéculatives, mais ce modèle universel c'est celui qui est adapté à l'Europe.
Web TV www.labourseetlavie.com : Est-ce qu'il n'a pas montré ses failles justement puisque finalement il est assez récent ce modèle, il y a une quinzaine d'années ? Alors que l'on pourrait dire que de 1933 à 1999, avec le fameux Glass Steagall Act aux Etats-Unis, cette séparation, il n'y a pas eu de risque systémique, il n'y a pas eu de graves crises, et là finalement on vit la pire crise depuis 1929 avec ces nouveaux modèles.
Frédéric Oudéa, Pdg de la Société Générale : Je vous ferai observer que les grands sinistres bancaires sont le fait d'établissements spécialisés. Lehman n'est pas une banque universelle, Bankia qui vient d'avoir un problème, 23 milliards d'euros, ce n'est pas une banque universelle, c'est une banque de détail très simple, sans activités de marché, qui ne fait que du prêt immobilier. Une nouvelle fois, le modèle de banque universelle, son intérêt c'est quoi ? C'est la diversification des activités. Il faut en matière bancaire être humble. On peut tous faire une erreur sur un crédit, il peut y avoir une perte sur les activités de marché, la matière bancaire ce n'est pas quelque chose si simple que cela. En revanche, le point important c'est justement d'éviter de faire une trop grosse erreur sur un risque donné. Le bénéfice du système universel, c'est justement la diversification du risque. Et puis, le bénéfice du système universel c'est aussi pour le client un accès à différents services avec un banquier qui lui ouvre les services de la banque.
Web TV www.labourseetlavie.com : Alors, on pourrait dire qu'avec l'affaire JP Morgan, c'est encore un trader qui effectivement se retrouve mis en cause et les pertes de pratiquement 6 milliards. Donc est-ce que l'on peut contrôler cette activité-là ? Est-ce qu'aujourd'hui ce qui est arrivé dans certains dossiers peut et ne peut plus arriver parce là c'est tout récent et c'est encore un trader qui fait ce genre de choses ?
Frédéric Oudéa, Pdg de la Société Générale : Attendons d'abord d'y voir clair. Moi, je ne sais pas exactement quelle est ni l'ampleur de la perte, et les raisons de la perte.
Web TV www.labourseetlavie.com : Elle a grossi, ce que l'on peut dire c'est que par rapport à l'estimation …
Frédéric Oudéa, Pdg de la Société Générale : Attendons. Je doute en plus que ce soit un trader, ce n'est pas, à mon avis, un trader. Une nouvelle fois, le point important : est-ce que JP Morgan d'aujourd'hui a la capacité d'absorber cette perte ? C'est le cas puisqu'effectivement JP Morgan, une nouvelle fois, est une banque avec beaucoup de capital et des profits. Donc une nouvelle fois, le point important, je crois, c'est que il peut y avoir des prix qui conduisent à des pertes, il peut y avoir des activités de marché qui intrinsèquement conduisent à des pertes, le point important, il ne faut pas que la perte soit trop importante pour mettre en cause évidemment la sécurité de l'établissement bancaire, c'est cela le point important.
Web TV www.labourseetlavie.com : Alors vous parliez de résistance de ces banques universelles et en même temps on vous voit, vous, comme d'autres d'ailleurs, comme d'autres banques universelles, aller au guichet de la Banque Centrale Européenne pour chercher des liquidités, donc on se dit que la situation quand même n'est pas encore réglée ou loin d'être réglée ?
Frédéric Oudéa, Pdg de la Société Générale : Alors, la crise n'est pas terminée, on le voit bien, il y a une crise de confiance profonde dans la zone euro et il faut continuer à rétablir cette confiance. En ce qui concerne les liquidités de la Banque Centrale Européenne, c'est quoi ? C'est un filet de sécurité, c'est une assurance. C'est de se dire justement : « le système bancaire va pouvoir continuer à financer l'économie indépendamment de ce qui peut se passer concrètement sur la question de la confiance dans la zone euro et qui peut, potentiellement, temporairement, limiter l'argent qui arrive dans le système bancaire européen notamment. Donc c'est une très bonne chose, c'est un montant qui est finalement limité par rapport à la somme totale des prêts, et c'est une assurance. C'est comme cela en tout cas que les banques françaises ont utilisé cette facilité. Web TV www.labourseetlavie.com : Est-ce que l'on ne reste pas finalement dans un déséquilibre structurel entre les dépôts et les crédits, justement pour financer vos activités de marché et toutes les activités à l'international ? Frédéric Oudéa, Pdg de la Société Générale : Alors, vous mentionnez, à juste titre, un point très spécifique du système bancaire français, c'est qu'il a plus de crédits que de dépôts, et donc justement il n'y a pas un centime d'euro des Français, un centime de dépôt qui va financer des activités de marché. Nous n'avons pas assez d'argent pour financer les prêts aux particuliers et les prêts aux PME, et ça, c'est vrai que c'est une faiblesse, ou en tout cas un des points sur lequel il faut corriger la situation française au regard de la nouvelle réglementation. Et comment il va falloir faire ? Il va falloir rapatrier plus d'épargne des Français sur le bilan des banques françaises, c'est un des enjeux des deux à trois prochaines années. Web TV www.labourseetlavie.com : C'est pour cela que vous dites que vous n'êtes pas favorable à l'augmentation des dépôts sur le livret A. notamment. On pourrait dire : "Où investir son argent aujourd'hui ?" Qu'est-ce que vous dites aux Français qui nous regardent : investir en bourse ? Où investir ? Parce que là, c'est de la liquidité, on sait quand on met sur son livret A et après on récupère l'argent ?
Frédéric Oudéa, Pdg de la Société Générale : Absolument. Je comprends très bien, moi, l'attitude des Français, mais en même temps, cela pose un vrai problème parce que une économie où l'épargne des Français, des acteurs, ne va ni sur les actions qui financent le développement des entreprises, la capacité à investir, ni dans les bilans bancaires pour alimenter le crédit, et qui va finalement sur un produit très liquide mais dont finalement l'utilisation est peut-être largement sous-exploitée, sous-optimisée, ce n'est pas sain. Il faut, une nouvelle fois que l'on ait des incitations fiscales au profit des financements longs, que ce soit les actions ou le crédit bancaire à destination des entreprises. C'est comme cela que l'on créera de l'emploi et c'est comme cela que l'on optimisera le financement de l'économie.
Web TV www.labourseetlavie.com : En conclusion, on voit qu'il y a eu des réformes aux États-Unis, il y en a eu au Royaume-Uni, pour la France, il n'y a pas de réforme nécessaire des banques universelles françaises ? Cela paraîtrait étonnant qu'il n'y ait aucune réforme, que l'on ne change rien en France ? Frédéric Oudéa, Pdg de la Société Générale : Alors, d'abord, il faut évidemment sortir d'une logique nationale. Cet enjeu est européen, cet enjeu est européen parce que, on le voit, il faut raisonner Europe quand on parle financements, activités financières, et d'ailleurs encore une fois le sommet va, de ce point de vue, dans le bon sens en parlant d'union bancaire, cela veut dire une dimension européenne. Alors, aujourd'hui il y a un groupe de réflexion qui a été mis en place au niveau de la commission qui est en train de regarder si au fond au-delà des réformes considérables de Bâle III, il faut rajouter quelque chose en complément sur l'organisation. Attendons les conclusions de ce groupe, et, à mon sens, c'est en fonction de ces conclusions, qu'il faudra décliner au niveau national des adaptations supplémentaires. Nous sommes de ce point de vue plutôt en faveur de règles Volcker à l'européenne puisque c'est déjà ce que nous faisons et que cela va dans le bon sens, à savoir limiter bien sûr les activités spéculatives. Ce n'est pas ce qui nous intéresse, nous nous intéressons à nos clients.
Web TV www.labourseetlavie.com : Merci Frédéric Oudéa d'avoir fait le point avec nos. On rappelle que vous êtes donc le PDG de la Société Générale.
Frédéric Oudéa, Pdg de la Société Générale : Merci.
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