Plus personne ne parle de Versailles. Ou plutôt ceux qui parlent le plus de Versailles sont le plus souvent des acariâtres de tous bords, les uns protestant parce que les expositions d’art contemporain y offensent la mémoire du Roi et de la France, d’autres défendant le patrimoine ainsi mis à l’encan, certains éructant contre la présence d’énarques aux commandes du Château aux dépens de leur corporation, d’autres pinaillant sur la restauration d’une fenêtre non conforme à leurs yeux mesquins, les mêmes s’offusquant qu’on ouvre les jardins au bas-peuple en quête de divertissement qui va inévitablement tout détériorer, voire grognant contre les guichets et les WC. Et au milieu de tout ce charivari, plus personne ne parle du Château : il est là, point à la ligne, c’est une donnée, un acquis, inaliénable et qu’on ne regarde même plus, mais qu’on utilise comme munition dans des combats rétrogrades.
Joana Vasconcelos, Perruque, 2012, Chambre de la Reine
C’est pourquoi il faut remercier Joana Vasconcelos de nous faire voir le Château (jusqu’au 30 septembre), de nous obliger à le regarder, non comme des touristes en troupeau, ni comme des polémistes en quête de facile notoriété, mais comme des vrais regardeurs, des amoureux remplis de désir pour ses beautés. Cela, les artistes précédemment invités n’y étaient pas parvenus, ni les fades Français, ni les étrangers provocateurs, alors qu’elle sait faire résonner le lieu avec une rare intelligence. Bien sûr, il est regrettable que les conservateurs du Château, effrayés des réactions, non des visiteurs, mais desdits pisse-froids professionnels, lui aient demandé de renoncer à son merveilleux lustre féminin, que le 104 (pour une fois affranchi de la puritaine tutelle municipale – lame duck oblige) s’est empressé de récupérer (et qu’on pourra y voir du 4 juillet au 18 septembre ; et ce n’est même pas interdit aux moins de 18 ans). Il manque aussi son pendant, un lustre noir, Carmen, revers impur des tampons immaculés de La Fiancée, mais les perruques sont bien là, dégoulinement de chevelures sortant d’un meuble en bois précieux comme autant de coulures tentatrices, au chevet de la Reine.
Joana Vasconcelos, Golden Walkyrie, 2012, Galerie des Batailles
Dans la Galerie des Batailles, trois Walkyries caracolent au milieu des morts des tableaux, sauvages et salvatrices. Celle du centre, surtout, moirée et monacale entre ses deux consoeurs bariolées, est ici l’âme de toutes les batailles, la mère de toutes les guerres, la consolation de toutes les catastrophes.
Joana Vasconcelos, Marilyn (PA), 2011, Galerie des Glaces
Le plus révolutionnaire est sans doute la capacité de Vasconcelos à détourner les codes du décor du Palais, à nous y entraîner pour mieux nous dérouter ensuite. On peut ne pas se passionner pour la broderie portugaise, mais les lions de marbre couverts de dentelle en gardes de la Reine, les escarpins en casseroles inox étincelant de concert avec les glaces de la Galerie, les cœurs suspendus en couverts de plastique aux deux extrémités, rouge et noir baignés de fado, marient si bien le domestique et l’histoire, le trivial et la séduction qu’on regarde alors tout d’un autre oeil.
Joana Vasconcelos, Lilicoptère, 2012, Salle 1830
Et tout au fond, un hélicoptère, engin de guerre meurtrier, est recouvert de plumes d’autruche roses exubérantes, son habitacle est en bois précieux et ses patins miroitent de mille feux, tout en cristaux de verre : c’est la guerre en dentelle. Le Roi des Français regarde la scène, et nous le regardons comme jamais.
Photos de l'auteur. Joana Vasconcelos étant représentée par l'ADAGP, les photos de ses oeuvres seront ôtées du blog à la fin de l'exposition.