Cela fait maintenant un bon gros mois bien joufflu que Hollande a gagné le droit d’être plus normal que les autres. S’il est encore bien trop tôt pour établir un bilan de sa politique, on peut en revanche déjà mesurer l’écart avec le précédent président. Et à l’aune de cet écart, en déduire quelques éléments intéressants sur le pays gouverné…
Et si l’on parle de Hollande, on se doit de parler de changement. Après tout, l’idée générale, pour les partisans de ce bouffon mou candidat lors de la campagne, c’était qu’il allait introduire une vraie métamorphose dans la politique française. Fini le bling-bling, finies les frasques privées et sulfureuses, finie la médiatisation à outrance. Finie aussi la politique à l’emporte-pièce !
Mais lorsqu’on regarde la façon dont la « nouvelle » pratique présidentielle s’écrit, on constate qu’en fait de changement, on nous ressort beaucoup de la même chose, dans la même quantité. S’il y a changement, c’est, clairement, dans le traitement, dans la présentation de ces éléments de continuité assumée ou subie du nouveau président.
Le sommet européen qui vient de s’achever est, peut-être, la seule vraie différence : au lieu de s’inscrire dans un dialogue France – Allemagne, il se sera terminé par une charge de trois pays principalement (France, Italie, Espagne) contre l’Allemagne. La force de Merkel aura été de faire croire qu’elle cédait sur ses principes, alors qu’une analyse un peu plus fine montre qu’en réalité, Hollande, Monti et Rajoy se sont fait proprement dominer.
En conséquence de quoi, Libération, devenue depuis l’arrivée de Demorand l’Organe Officiel De La Socialie, n’a pas pu s’empêcher de présenter une première page — au design délicieusement soviétique — parfaitement éclairante qui montre à quel point il est facile de duper les imbéciles à l’égo infatué. Eh oui, quand on y réfléchit, les eurobonds de Hollande, ce n’est pas encore pour maintenant. En revanche, pendant que Libé applaudit niaisement, la fédéralisation de l’Europe avance d’un grand pas, sans l’aval ni des populations, ni même des parlements ou des gouvernements…En définitive, s’il y a eu changement, ce n’est pas franchement en faveur de Hollande. Et si l’on regarde d’autres domaines, on peine à distinguer ce qui pourrait constituer un vrai changement désirable pour le pays, tant pour les sympathisants de gauche que pour tous les autres, d’ailleurs.
Je passerai rapidement sur les constatations esthétiques, la taille du nouveau président étant tellement différente de celle de l’ancien qu’on comprendra que plus personne n’ose maintenant y faire référence de façon systématique et permanente, comme c’était le cas pour le pauvre Sarkozy que la nature avait doté d’un si petit nombre de centimètres qu’il faisait rire tout le monde. Avec un président presque géant, on sait qu’on aura une politique à sa taille, c’est-à-dire surhumaine, avec des morceaux de pouvoirs magiques, des marches sur l’eau transformée en vin, et des slips au dessus du pyjama à foison.Et c’est exactement ce qu’on récolte. Avec Sarkozy, on avait eu le droit à un Fouquet’s si mémorable que la vie politique française en fut remplie pendant cinq ans. Le retour de Tulle du candidat-président avec deux jets privés (un pour lui, un pour sa cour journalistique), n’a choqué aucun des folliculaires degoche qui auraient éructé, bave aux lèvres en sus, s’il s’était agi de la République Anormale de Sarkozy… Les frasques de Trierweiler n’ont, en quelques semaines du quinquennat hollandiste, rien à envier aux rebondissements familiaux sarkozistes : on sait qui couche ou a couché avec qui ou qui est jaloux de qui et à quel degré. Mais là encore, le petit monde politique trouve ça normal.
En fait, lorsque les thuriféraires de Hollande parlaient d’une présidence « normale », ils voulaient dire, sans le savoir, que les extravagances de Sarkozy étaient devenues banales et que le quinquennat de François 2 serait donc marqué de la même normalité que précédemment. Subtil, mais on comprend maintenant ce qu’ils voulaient dire.
Alors évidemment, le changement, c’est fini.
Les ministres sont pléthore et coûtent une fortune. Les cabinets sont si pleins de mâles bien blancs et bien énarques que Libération, explosant de purulence hypocrite, n’a pu s’empêcher d’en choper des boutons. Mais là encore, c’est parfaitement normal.
Mais ces considérations ne sont rien face à l’évidence du non-changement, et, pire que tout, de la continuité de la politique déjà entérinée par Sarkozy, mélange de petites réformettes micrométriques et d’une avalanche de taxes et d’impôts. Jugez plutôt :
- On parle d’instaurer une redevance sur les écrans d’ordinateurs. Voilà une idée qui fera plaisir à la jeunesse de France, celle-là même que voulait choyer le candidat Hollande et dont il disait vouloir « s’occuper ». On comprend ce qu’il voulait dire par là, à présent.
- Les pétroliers sont à la fête : paf, une petite taxe de plus, à rajouter à la TIPP, la TVA et toutes les autres. Les consommateurs seront, là encore, heureux de l’apprendre. Les classes modestes, dont le candidat Hollande se voulait le porte-parole, ces classes qui ne peuvent se passer de voiture pour aller bosser, apprécieront.
- Côté entreprises, n’oublions pas la taxe sur les dividendes. Au passage, on constatera le gouffre qui sépare le candidat Hollande qui désirait des entreprises qui investissent, et les réalisations concrètes du président Flanby dont l’appareil d’état a refusé mordicus que France Télécom baisse son gros dividende juteux. Oui, François et sa clique se moquent ouvertement des contribuables et des Français, dans ce domaine aussi.
- N’oublions pas internet. Même si n’importe quel internaute sait qu’une taxe sur les achats en ligne sera un boulet de plus pour les entreprises françaises dans cette économie mondialisée, le cerveau reptilien des cancrelats de Bercy n’y voit qu’une source supplémentaire de revenus. Et des revenus, l’Etat en a un besoin maladif, actuellement…
- Tout comme les Banques dont les taxes pour cause de méchants vilains risques systémiques seront doublées. Alors qu’une faillite bancaire contrôlée, elle, ne coûte qu’aux prêteurs qui ont pris les risques et n’ont, pour la plupart, pas fait leurs « due diligences ». Lorsqu’on sait, du reste, que les prêteurs sont aussi, par l’autre main, les créditeurs, et que la consanguinité banque/état, en France (et ailleurs en Occident) est totale, on comprendra pourquoi la banqueroute des unes signifie concrètement la faillites des autres … Et pourquoi tout sera fait pour qu’elle soit évitée.
- Et bien évidemment, le monde socialiste ne serait pas vraiment socialiste sans une petite lubie ridicule, comme un succédanée de Taxe Tobin, qui ne marche pas, n’a jamais marché, ne rapportera rien, mais qui sera relevé de 0.1% à 0.2% en août.
Comme on peut le voir, au plan fiscal, le changement n’a duré qu’une paire de semaines.
Et pour le reste, … eh bien contraints par les événements, Hollande fait une politique que d’aucun aurait qualifié « salement de droite » il y a encore deux mois, avec par exemple la réduction de 2,5% par an des effectifs des ministères, et le non-renouvellement de deux départs à la retraite sur trois. Oh, en pratique, c’est une très timide réduction, mais c’est déjà plus que sous Sarkozy qui était régulièrement montré comme celui qui cassait le Service Public à la Française Que Le Monde Nous Envie Mais Ne Nous Copie Pas.
En définitive, il n’y a pas une once de changement objectif : le changement, radical, la réforme, profonde dont le pays a besoin ne sont toujours pas arrivés et on assiste à une continuité de la politique menée jusqu’à présent, montrant s’il était encore nécessaire que les marges de manœuvres politiciennes dans ce pays sont maintenant nulles.
Et dans cette continuité, on n’entend pas les grincements de dents de tous ces socialistes convaincus, tous ces humanistes frétillants et ces antilibéraux qui ont tout compris. On n’entend pas le moindre gémissement des syndicats, des journalistes, des enseignants ou de tous ces corps presqu’entièrement acquis à la cause socialiste. Tous, aussi cocufiés soient-ils, tous, conscients ou non que les deux ans qui furent nécessaires aux renoncements mitterrandiens se sont concentrés en deux semaines cette fois-ci, tous se taisent, dans une magnifique dissonance cognitive doublée de ce déni de réalité qui a plongé la France dans ce cloaque depuis 30 ans.
Et voilà : le seul vrai changement, c’est qu’à présent, le pays est, on vous le dit on vous le répète, délicieusement à gauche et qu’il peut donc se permettre de continuer ce qui a si bien marché les trois dernières décennies.
Le changement, finalement, c’est que ce sera comme Sarkozy. Mais en plus calme puisque c’est de gauche.