Au début des années 60, j’avais une dizaine d’années et j’habitais Herblay dans le Val d’Oise. A cette époque c’était la campagne, entre l’extrémité ouest de la ville et Conflans-Sainte-Honorine, des champs de terres cultivées à perte de vue, une casse autos et la voie de chemin de fer où circulait le train à vapeur qui m’amenait au lycée d’Argenteuil ou plus loin encore vers Paris où travaillait mon père.
Avec mon copain Michel, nous avions l’habitude de crapahuter à vélo ou à pied, sur les sentiers reliant les champs ou bien encore de nous aventurer vers la forêt et sa champignonnière abandonnée pour y fumer des lianes, ouais, ado ont fait souvent n’importe quoi car fumer des lianes c’est réellement dégueulasse. Souvent aussi, nous descendions vers les bords de Seine pour nous glisser dans les ruines et gravats des bâtiments d’une ancienne piscine, explorations interdites plus ou moins ce qui leur donnaient un attrait supplémentaire.
Ce sont ces balades et ces jeux qui m’ont donné le goût de la nature, moi qui avais passé mes dix premières années au cœur de la capitale. A courir par monts et par vaux, il nous arriva de faire de mauvaises rencontres, rien de tragique genre assassin en liberté ou violeur en maraude comme la rubrique des faits divers d’aujourd’hui semble peupler nos campagnes, mais enfin, par deux fois j’aurais préféré éviter ces incidents.
La première se déroule à l’automne, alors que la saison de la chasse a débuté. Le week-end nous entendions les fusils tonner et en semaine, après les heures de classe nous ramassions le long des chemins creux ce qui restait des cartouches tirées par les chasseurs. Si nous restions éloignés des champs, samedis et dimanches, nous pensions pouvoir nous les octroyer les jeudis. Ce fut souvent le cas jusqu’au jour où nous fûmes pris sous le tir d’un Nemrod amateur.
Je précise que nous étions en zone de plaine, bien à découvert. Le chasseur avançait à notre rencontre, loin de nous qui ne l’avions pas remarqué, et sans même prendre de précautions, il tira vers un oiseau fuyant sous la menace de son chien. Le volatile y laissa-t-il la vie ? L’histoire ne le dit pas, par contre une volée de plombs crépita autour de nous en retombant. Comprenant qu’à rester sur la zone des combats nous risquions d’être pris à partie dans un conflit qui ne nous concernait pas, nous optâmes pour un repli stratégique autant que rapide. Désormais les champs nous étaient interdits tant que les chasseurs auraient le droit d’y circuler arme à la main.
La seconde mauvaise rencontre s’avéra plus physique. Avec le recul, nous avions mon pote et moi une part des torts, mais ils étaient involontaires et ne méritaient pas un tel courroux. Nous sillonnions les champs à pied et les plantations de céréales encore en devenir rendaient parfois la distinction entre cultures et friches difficile pour un citadin d’origine comme moi. Il semble donc, que nous ayons traversé un champ planté ce qui rendit furieux son cultivateur de propriétaire. Nous apercevant de loin, il vint à notre rencontre et ce n’est qu’une fois sur nous que nous comprîmes notre malheur, puisqu’il nous frappa des mains et des pieds, nous envoyant rouler dans le fossé pour mieux nous tabasser. Terrassés par la surprise d’abord et la frousse ensuite, nous ne dûmes notre chance qu’à la fuite, favorisée par nos gambettes de jeunes gens encore alertes. D’après ce que nous avons compris, après nous être repassé mentalement le film de l’aventure, de nombreux promeneurs du dimanche auraient saccagé les plantations du cul-terreux et nous, boucs émissaires pris la main dans le sac ou plus exactement le pied dans le sillon, avions morflé pour tout le monde.
Comme quoi la vie aux champs n’est pas de tout repos et réserve autant de surprises désagréables que la vie en ville.