Louÿs © Robert Laffont 2012
Pierre Louÿs est l’auteur, entre autres, d’Aphrodite et de La femme et le pantin, deux romans de facture classique ayant connu un réel succès au moment de leur publication à la toute fin du 19ème siècle. Mais c’est aussi et surtout l’auteur d’une œuvre érotique considérable dont les nombreux manuscrits retrouvés après sa mort dans son hôtel particulier (plus de 400 kilos !) ont malheureusement été dispersés par ses héritiers dans des collections particulières. Reste que de nombreux textes ont été publiés sous le manteau dans les années 1920 et continuent à l’être de nos jours dans des éditions beaucoup moins confidentielles.L’œuvre érotique rassemblée ici sur plus de 1000 pages montre l’incroyable diversité des textes abordés par l’écrivain : poèmes, dialogues, monologues, roman, contes, parodies, récits, pièces de théâtre, etc. Il y en a vraiment pour tous les goûts. Il faut dire que notre homme était un inépuisable érotomane. Que retenir de ce foisonnement ? Quelques thèmes sont récurrents et singularisent cette œuvre aussi décomplexée que sulfureuse : le saphisme, la prostitution, la sodomie, la scatologie et l’inceste sont les plus marquants. Si les dialogues et les monologues sont savoureux, j’ai trouvé la poésie sans grand intérêt, au contraire des parodies et des contes, plutôt truculents. Parmi les curiosités inclassables présentes dans le recueil, notons ce « Catalogue chronologique et descriptif des femmes avec qui j’ai couché » datant de 1892 dans lequel Louÿs note avec une minutie clinique chacune de ses parties de jambes en l’air. Petit exemple : « Nom oublié, 1890. Environ 25 ans. Petite brune. Baisée le 28 janvier 90, pendant un entracte de Carmen que je voyais pour la 1ère fois. Dans un hôtel, rue des lombards. » Charmant, non ? Une autre liste est sobrement intitulée « Enculées » et fait référence, comme son nom l’indique et avec moult détails, à chaque fille sodomisée par ses soins.
Reste le cas du seul roman proposé dans cette énorme somme, Trois filles de leur mère. Jean Paul Gougeon, biographe de Louÿs qui en signe la préface n’hésite pas à ranger ce roman "parmi les plus grands textes érotiques jamais écrits", et à le comparer aux œuvres les plus abouties de Sade et de Bataille. Pour lui, ce texte constitue « la profanation la plus violente de cet univers bourgeois et familial qui était celui de l’auteur, et que celui-ci se plait à bafouer tout au long de plusieurs centaines de pages. » Trois filles de leur mère serait un récit en partie autobiographique s’inspirant des rapports que l’écrivain a eu avec la femme et les filles du poète José Maria de Hérédia. Louÿs y décrit les relations d’un jeune homme de vingt ans et d’une prostituée trentenaire ayant trois filles peu farouches. Je ne suis pas spécialement pudibond (c’est le moins que l’on puisse dire) et je pensais que rien ne me choquerait plus en matière de littérature mais je dois bien avouer que ce texte m’a donné la nausée. Repoussant toutes les limites de la pornographie, Louÿs enchaîne les descriptions de scènes plus inacceptables les unes que les autres. Passe encore pour les relations incestueuses entre la mère et ses filles ou encore la scatologie la plus innommable mais il m’a été impossible de supporter la description minutieuse des ébats du narrateur avec une gamine de 10 ans nymphomane et adepte de la sodomie. Première fois de ma vie que je découvre la pédophilie en littérature et je dois bien reconnaître que j’ai du mal à m’en remettre. Dans la revue Lire du mois de juin, Baptiste Liger écrit à propos de ce volume : « Si son évocation, très décomplexée, de la pédophilie peut heurter, l’amoureux de la littérature se réjouira cependant devant certaines curiosités expérimentales. » Dans le Magazine Littéraire, Xavier Houssin s’extasie et enfonce le clou : « rien n’est sérieux, rien n’est triste, rien n’est violent, rien n’est angoissant. Louÿs est un poète qui met tout en images, qui joue avec les mots. » N’en déplaise aux critiques professionnels, le modeste lecteur que je suis, père d’une fillette de 10 ans, ne peut pas accepter pareille ignominie.
Alors oui, je veux bien reconnaître que les écrits de Louÿs regroupées ici constituent une œuvre majeure et incontournable de la littérature érotique française mais il n’empêche que certains aspects sont à mes yeux beaucoup trop dérangeant pour que j’apprécie de quelque manière que ce soit ce type de lecture.
Œuvre érotique, de Pierre Louÿs, Robert Laffont, 2012. 1030 pages. 30 euros.
En espérant ne pas avoir trop plombé l'ambiance, je file chez Stephie pour découvrir de nouvelles lectures inavouables proposées dans son incontournable rendez-vous mensuel.