Quelques retours sur l'euthanasie

Publié le 22 mars 2008 par Marc Gauthier

Le cas personnel de Chantal Sébire, cette femme atteinte d’une maladie orpheline lui déformant le visage et engendrant des douleurs insupportables, a réveillé le débat sur l’euthanasie.

J’ai publié ici quelque chose sur ce sujet, il y a déjà pas mal de temps. Je reviendrai sur un point de ce que j’avais écrit alors, mais d’abord je voudrais reprendre deux arguments avancés par les personnes qui sont contre l’euthanasie. Celui qui demande pourquoi une personne dans la situation de Chantal Sébire ne choisit pas simplement de se suicider au lieu de demander d’avoir recours à l’euthanasie, puisque elle était encore suffisamment en possession de ses moyens pour le faire, et celui, corollaire, qui s’étonne que Chantal Sébire ait voulu faire appel à la législation et donc à l’état pour régler son cas personnel au lieu de le traiter elle-même.

Entamons avec le premier point sur l’opportunité du suicide. J’ai lu ici et là certains commentateurs dirent leur étonnement que les personnes atteintes de maladies incurables aux symptômes aussi douloureux ne choisissent pas elles-mêmes de se donner la mort. J’ai relevé un commentaire notamment qui disait que le suicide était une liberté, liberté qu’il suffisait ici d’exercer pour faire cesser la souffrance.

Voilà un très bon exemple à mon avis de toutes ces opinions bien formulées, claires, logiques, cohérentes, mais totalement à côté de la plaque. Le langage produit cela, trop souvent, et l’on ne s’en rend que très peu compte, car on s’imagine que maîtriser le langage c’est penser. C’est pourtant bien insuffisant. Dire que le suicide est une liberté est une sottise absolue. C’est utiliser un terme de valeur général (la liberté, l’égalité, la morale, etc.) là où la question qu’il pose n’a pas sa place. La question du suicide n’a vraiment rien à voir avec l’exercice d’une liberté. Une personne suicidaire ne l’est pas dans la perspective d’exercer une liberté. Dire cela est parfaitement hors sujet. On se suicide parce que l’on va mal, pas parce qu’on est libre de le faire.

Pourquoi donc, ne pas recourir au suicide dans le cas d’une personne comme Chantal Sébire et préférer faire appel à l’euthanasie ? J’y vois deux raisons. La première, très pragmatique, me paraît assez évidente. Tant même que la demande des anti euthanasie que ces gens là se suicident discrètement chez eux plutôt que de demander qu’on s’occupe de leur cas me semble tout à fait surprenante. C’est qu’il n’est pas évident de se suicider. Imaginez-vous vous-même, décidant de vous tuer. Evidemment vous allez écarter toutes les méthodes violentes, vous ne souhaitez quand même pas en rajouter au mal que vous vivez. Une méthode douce, cela sera probablement par la consommation de médicaments ? Lesquels ? On en prend combien ? J’entends d’ici les commentaires qui vont me dire : « ah mais il suffit d’un tube complet de somnifères ! ». Ben non, on peut être retrouvé avant de mourir, être soigné, bref, on peut se rater. Tout le monde imagine bien ce que cela signifie, pour quelqu’un qui souffre atrocement, d’envisager une action qui risque d’échouer ? Qui en rajoutera au stress déjà insupportable de la situation ? On a raté ? Il va alors falloir recommencer. Jusqu’à ce que ça marche. Vous imaginez la chose avec un peu de sens humain ?

La première raison pour laquelle les personnes atteintes de maux aussi durs demandent d’avoir recours à l’euthanasie est d’avoir par cette voie l’assurance que les choses soient « bien faites », sans douleur, et de façon sûre. Cela supprime le stress de l’acte définitif, et permet alors que les émotions des personnes présentes soient entièrement consacrées aux liens qu’elles ont ensemble plus qu’à des considérations matérielles qui seraient alors intolérables.

La deuxième, mais là je sens que je vais avoir du mal à convaincre tout le monde, c’est que le suicide en tant que tel, l’acte de se donner la mort à soi-même, de façon discrète comme je l’écrivais plus haut, en catimini chez soi, reste un geste dont la portée est plus que symbolique. C’est une agression exercée contre soi, et non pas un geste d’apaisement, ce que cherche à produire l’euthanasie. Oui, oui, je vous entends bien, réclamer qu’on mette fin à ses jours, même dans le cadre d’une loi, cela revient au même vous dites vous. Et bien non, le geste n’a pas la même portée. Dans le cadre où l’euthanasie serait légalisée, la personne qui y aurait recours bénéficierait de quelque chose que l’acte du suicide lui refuse cruellement : la reconnaissance. Si l’euthanasie est reconnue légale, alors la personne qui y a recours n’a plus à se cacher, elle n’a plus à s’isoler pour se tuer à l’abri du regard des autres. Car lui demander de se suicider, cela revient à lui dire : « S’il te plaît, mets-toi à l’écart, fait ça discrètement, et ne nous embête pas ». C’est lui imposer en plus de la douleur qu’elle vit un dernier camouflet, une dernière humiliation, sociale cette fois-ci, car en plus de mourir, sa mort ne doit pas être un geste accepté et regardé en face par les autres.

La vérité, c’est que cette demande n’est rien d’autre qu’une lâcheté. Demander à quelqu’un qui souffre de s’occuper d’elle-même en pareilles circonstances, c’est surtout lui demander de faire cesser notre souffrance du dilemme humain dans lequel elle nous plonge. Mais il ne faut pas perdre de vue que c’est là une agression de plus qu’on fait alors vivre à cette personne.

Et voilà du coup, pourquoi avoir recours à une solution légale, et donc émanant du pouvoir de l’état n’a rien qui doivent soulever la réprobation. Le demander c’est demander que ces gens là puissent, dans les derniers jours de leur vie, qui sont probablement aussi les plus douloureux, tant physiquement que moralement, obtenir un dernier message qui ne les met pas à l’index, mais qui au contraire leur signifie qu’eux aussi font bien partie du groupe des hommes, et que jusqu’au bout ils y auront eu toute leur place. C’est en cela qu’ils peuvent à mon sens légitimement user du terme dignité pour qualifier la mort qu’ils entendent favoriser. La reconnaissance. Sans cela, un groupe social n’est rien.

J’en termine en revenant rapidement sur ce que j’avais écris donc il y a longtemps sur ce même sujet. La philosophie de Kant me paraissait alors utile pour répondre à la question de l’euthanasie. On m’opposerait facilement une citation du philosophe qui dit qu’on ne peut disposer en rien de l’homme ni pour le blesser, pour le mutiler ou pour le tuer. J’avais présenté pourquoi une lecture au premier degré de cette maxime me paraissait fautive, et comment il me semblait que cela devait plutôt s’entendre. Je n’y reviens pas, ce serait trop long et sans doute polluant pour mon propos d’aujourd’hui. En revanche je voudrais reprendre une autre citation de Kant qui disait que l’homme n’est pas un moyen, mais une fin en soi, et qu’en toute occasion il doit être traité comme tel. Les tenants de la position contre l’euthanasie me rétorqueraient en bondissant que cela renforce leur position, ajoutant peut-être, comme je l’ai lu parfois, que la vie est sacrée, et doit donc être défendue quoi qu’il arrive. Là aussi, même défaut que celui de l’argument présentant le suicide comme une liberté. Dire que la vie est sacrée n’a aucun sens. La vie toute seule comme ça c’est un mot, ça n’a rien de sacré. Ce qui est sacré ce n’est pas la vie, ce sont les hommes qui la vivent. Et là tout à coup le ciel s’éclaircit et on comprend peut-être mieux les choses. Ce n’est pas la vie qu’il faut défendre et dont il faut se préoccuper, ce sont les individus qui doivent être avant toute autre chose l’objet de notre attention. C’est le sens réel de la maxime de Kant.

Quelques billets ailleurs sur le sujet :

Eolas, qui présente le point de vue du juriste, évidemment utile pour éclaircir le débat,

Koz, dont je ne partage pas la majeure partie des arguments, mais qui évoque en particulier un point qui me semble intéressant à creuser : une loi produit toujours un effet marginal indésirable.

Embruns, qui propose une vision très incarnée du sujet.

(Je poste, la peur au ventre que tout ceci soit encore prétentieux...)