Une photo, quelques mots # 35

Par Mathylde

Crédits : (c) Romaric Cazaux

Elles avaient tout fait ensemble…. Les mêmes études avaient débouché sur le même diplôme, les mêmes rencontres avaient donné lieu à des amitiés communes. Les deux mariages avaient été célébrés à une semaine d’intervalle. Si ça n’avait tenu qu’à elles, elles les auraient fêtés dans la même salle, puisque de toute façon, les listes d’invités étaient similaires, à quelques exceptions près.

Quelques années plus tard, elles avaient connu les mêmes désillusions. L’enlisement dans le quotidien. Les charentaises. Le pot au feu dominical. Les vacances chez les beaux-parents.

Elles avaient tenu toutes ces années pourtant. Elles n’en parlaient pas beaucoup mais savoir qu’à quelques pas de leur foyer, une amie, une soeur, vivait une situation identique, leur avait permis de ne pas sombrer. Elles préféraient rêver au passé ou à l’avenir. Un jour, elles partiraient. Oh, pas pour toujours bien sûr, ça elles auraient dû le faire il y a bien longtemps, mais quelques jours au moins. Histoire de se souvenir du goût de la liberté, de la saveur de l’insouciance.

Leurs enfants ne venaient plus les voir très souvent depuis que les petits avaient décrété qu’on s’ennuyait chez les grands parents et qu’il flottait dans l’air comme une odeur de moisi. Hubert et Léonard avaient été profondément choqués, mais les deux femmes ne pouvaient que donner raison à leurs petits enfants. Autant qu’ils profitent de leur jeunesse, eux !

Un beau matin, alors qu’Hubert était dans le jardin, en train d’arroser ses salades, Mauricette entra en trombe chez Lucienne. Elle lui colla deux billets dans les mains, lui fit un clin d’oeil assorti d’un large sourire et s’engouffra à nouveau dans le couloir.

Lucienne ne comprit pas tout de suite. Sur les deux papiers, il était écrit “e-réservation”. Elle ne savait pas trop ce que cela signifiait mais la suite lui plaisait plutôt.

“CLERMONT – DEAUVILLE” : 1 ALLER/RETOUR – SENIOR. VALABLE DU 1/07/2012 au 31/08/2012.

HOTEL LE MAJESTIC ****  : 5 NUITS CHAMBRE DOUBLE- PENSION COMPLET”

A son tour, un large sourire illuminait son visage. Lorsqu’Hubert rentra dans la cuisine, elle cacha ses deux précieux papiers dans la poche de son tablier puis lui demanda d’une voix tremblante :

“Dis, on a toujours la valise ?”

- Quelle valise ?

- Celle qu’on avait acheté en 75, avant de partir chez tes parents !

- Ah oui…La valise… Elle est dans la remise, j’ai mis mes outils à l’intérieur… Elle ne servira plus à autre chose de toute façon. Pourquoi ?

- C’était juste pour donner un lot à la prochaine kermesse…Tant pis, j’en achèterai une cet après-midi !”

Le lendemain, Léonard fut réveillé par des coups répétés. Hubert tambourinait à la porte.

“Elles sont parties ! Elles sont parties sans nous!

-Comment ?

- Sans nous ! Elles reviennent dans 6 jours ! Qu’est-ce qu’on va faire ?”

Léonard désigna la cuisine d’un bref mouvement d’épaules.

” Te fais pas de bile, va. Lucienne a préparé des tas de plats la semaine dernière. On a même dû racheter un congélateur. On va pas mourir de faim, mon vieux !”

Texte écrit dans le cadre de l’atelier Une photo, quelques mots à l’initiative de Leiloona.