Jean-Pierre Jouyet a bien de la chance, François Hollande n'est pas rancunier.
De 2007...
En mai 2007, Jean-Pierre Jouyet était l'une des prises de guerre majeures de Nicolas Sarkozy. Nommé secrétaire d'Etat aux Affaires européennes du premier et du second gouvernement Fillon, l'ami de François Hollande avait une autre stature et une autre compétence qu'Eric Besson - la figure du traître - et Jean-Marie Bockel - l'éternel frustré de la gauche libérale. Avec Bernard Kouchner, il apportait la caution d'ouverture qu'il fallait au nouveau Monarque de Sarkofrance.
Quand son ami fut nommé ministre de Sarkozy, François Hollande mit son amitié entre parenthèse. Il ne cacha pas son amertume. Sa réaction fut logique, sincère, et rare: « Oui, j'ai perdu un ami car il est au service d'un gouvernement que je combats. (...) Jouyet ne partageait plus nos convictions depuis un moment... 2004, sans doute. C'est à ce moment qu'il a basculé pour Nicolas Sarkozy avec lequel il a travaillé ». Il connaissait Jouyet depuis l'ENA. Avec son épouse Brigitte Taittinger, Jean-Pierre Jouyet fut très proche du couple Royal/Hollande jusque les années 2005/2006.
Ancien collaborateur de Jacques Delors puis de Lionel Jospin, Jouyet avait travaillé avec Nicolas Sarkozy avant son entrée au gouvernement: en 2004, l'ancien énarque avait rejoint Sarko au ministère de l'économie et des finances comme directeur du Trésor puis ambassadeur chargé des questions économiques internationales. L'homme a des réseaux. Le journaliste Fabrice Nicolino relate sur son blog qu'il est proche de Christophe de Margerie, le patron de Total, et qu'il est membre du « conseil d’administration de The Aspen Institute, maison mère atlantiste d’Aspen France. »
Il n'a pas tenu deux ans au gouvernement Sarkozy/Fillon. En décembre 2008, il a filé à la tête de l'Autorité des Marchés Financiers. La période n'était pas facile, on sortait d'un gigantesque Krach boursier, et il fallait réguler la planète finances.
... à 2012
Pendant la campagne présidentielle, certains de l'équipe Hollande étaient agacés par sa reconversion « hollandaise ». Il avait d'abord affiché son soutien public à Hollande pendant les primaires, le candidat n'avait rien demandé. Il avait lâché imprudemment que Jean-Marc Ayrault serait premier ministre. Une rumeur l'avait même placée à l'Elysée, au secrétariat général. L'homme l'avait laissé prospérer quelques heures dans les cercles médiatiques.
La candidature de Jouyet doit encore être examinée. Un communiqué des services du premier ministre a précisé que « les commissions intéressées de l'Assemblée nationale et du Sénat se prononceront sur ce projet de nomination dans les conditions prévues par l'article 13 de la Constitution, après que la commission de déontologie aura rendu son avis ».
Laurent Mauduit, pour Mediapart, a un peu trop rapidement comparé cette nomination à celle de François Pérol sous Nicolas Sarkozy: « Politiquement discutable, éthiquement choquante, cette promotion pourrait, de surcroît, être contraire aux règles du Code pénal encadrant le pantouflage, selon les informations recueillies par Mediapart auprès de plusieurs hauts magistrats. »
La nomination de Pérol à la tête des Caisses d'épargne et de la Banque populaire était choquante parce que le nommé quittait l'Elysée où il s'était précisément occupé du secteur bancaire en pleine crise. Jouyet quitte lui une autorité publique et indépendante pour une banque publique après avis de la Commission de déontologie.
Mauduit s'indigne que Jean-Pierre Jouyet puisse survivre « à l’alternance », et décrocher « l’un des plus beaux et des plus influents » postes de la République, « pour une seule et unique raison : il est l’ami intime du nouveau président.» Mauduit s'égare. Jouyet avait des compétences, nous l'avons vu.
La critique, pour être efficace, doit être précise.