On ne sait pas toujours pourquoi on se retrouve un 22 juin sur le port de Vannes, au départ du plus long trail de France. En l'occurence, peut être parce que l'an dernier à pareille époque, une méchante tendinite, suite à un serrage trop énergique des chaussures, m'avait empoisonnéla vie sur cette même course ! Une volonté de revanche ? En tout cas je ne m'étais pas précipité pour m'inscrire et par chance j'avais écopé d'un numéro passe partout, le 248, pas comme l'an dernier, avec le numéro 3 qui vous désigne, pour les habitués, comme un des favoris logique de la course. Autant dire que si vous trainez dans les profondeurs vous avez envie de vous cacher.
L'avantage, sur une course de cette longueuer (177 km), c'est qu'il est tout à fait inutile de se positionner sur la première ligne, sauf si vous escomptez être sur les photos. A 19 h pile, le convoi démarre, les fusées devant, l'ambulance derrière. Il vaut mieux partir derrière, sur ce genre de course. On évite de partir trop vite et on remonte au fil du temps d'étranges spécimen, certains oscillant entre la catégorie poids lourd et obèse, d'autres affublés de sac à dos exotiques et de paires de chaussures ressemblant plus à des chaussures de ville que de trail. Ne vous en faîtes pas, ils restent assez vite au bord du chemin, la dure loi du sport faisant assez vite le ménage.
Durant les deux premières heures le cortège s’égrène. Au début il est inutile d’essayer de doubler, la densité ne le permet pas. En fait, ce n’est pas plus mal. On est encore trop nombreux pour échanger, chacun chemine dans ses pensées. des groupes d’amis partis ensembles devisent, durant la nuit ce sera bien plus calme. On commence par emprunter le chemin du marathon de Vannes, mais à l’envers et puis on s’en va vers Séné, la première étape, atteinte en deux heures. Au cours de cette étape nous avons eu la chance de voir un Sinago, voiles ocres sur l'azur de la « petite mer », se déhaler dans le vent finissant. Le peloton s’est étiré , comme on dit en cyclisme. Marie-Odile est là, au ravitaillement. On échange quelques mots, photo et vidéo de rigueur et la caravane repart. Les étapes font globalement 20 km ou un peu moins, cela dépend. On longe quasi en permanence le bord de l’eau, traversant les marais salants avant Noyalo. J’apprendrai que dans la nuit quelqu’un y est tombé.
Sarzeau s’offre à moi vers trois heures du matin. Là, c’est royal, applaudissement quand on rentre dans le gymnase, table et banc avec repas chaud. Soupe, pâtes et jambon au menu, avec une compote de pommes, du fromage et du pain complet. Pas gargantuesque mais quand même ! A côté de moi un organisateur fait un contrôle de sac. C’est le seul que je verrai. Un de mes voisins a froid et lui et ses compagnons revêtent leur coupe-vent avant de partir. Je conserve seulement mon tee-shirt à manches longues gagné au trail des Templiers à Millau. J’aurais plutôt chaud durant la nuit. Je change de chaussettes sur les conseils d’un voisin, puisque j’en ai une autre paire à Locmariaquer. Cinq minutes plus tard je mettrai les pieds dans une flaque d’eau annulant ainsi les bienfaits escomptés. Comme après tout arrêt long, il faut remettre en route la machine. Cela passe par une bonne séquence de marche. A cinq heures du matin j’arrive au ravitaillement léger de Port-Néze. Je m’y arrête à peine, voulant rejoindre au plus tôt Port-Navalo pour prendre le zodiac et traverser vers Locmariaquer. Le jour ne va pas tarder à poindre. C’est fait vers 5 h 30 et la magnificence des couleurs me récompense des efforts de la nuit. Je finis par éteindre ma frontale, en espérant ne plus avoir à m’en servir.
Avant Port-Navalo, la côte très ondulée donne l’impression de ne pas avancer. Mais le paysage est très beau, coruscant. Je suis seul depuis Port-neze, mais je trouve cela très agréable. Port-Navalo enfin, on voit l’embarcadère, mais le chemin n’y conduit pas directement, loin s’en faut. Je ne rencontrerai pas de joggeuse comme l’an dernier, il faut dire qu’il n’est pas 7 heures du matin. Les bénévoles sont là, sans doute certains aussi fatigués que nous, pour nous aiguiller. Le parcours est suffisamment bien fléché, de surcroit il suit le GR, leur présence ne serait pas forcément nécessaire partout. On échange cependant quelques mots à chaque fois, pour les remercier. Sans eux pas de courses, gardons cela en mémoire. J’arrive enfin à l’embarcadère, en remarquant à l’ouvert du golfe une petite île que je n’avais jamais remarquée. On me met un poncho et une brassière de sauvetage et j’embarque sur le zodiac avec deux autres coureurs. La traversée est toujours un grand moment, parce que le lieu est magique et la lumière unique, parce qu’on se dit qu’on est sur le chemin du retour et parce qu’on est assis, enfin. J'atteins, à ce moment, l'acmé.
Le débarquement est une formalité, deux kilomètres je pense et nous sommes au gymnase de Locmariaquer, en passant dans le vieux village de pêcheurs et le long du site mégalithique, aujourd’hui clôturé alors que dans mes souvenirs de jeunesse, table des marchands et grand menhir étaient d’accès totalement libre. Vous avez remarqué que je n’ai pas parlé de pieds, de fatigue ou autre tendinite (ça c’était l’an dernier). Par contre je dois avouer que cette année, j’avais une grosse incertitude sur la tenue de mes genoux au-delà de 20 km. Comme nous sommes à 100 km, à ce point du récit, tout le monde a compris : TVB pour le moment. Et pourtant fin avril au trail de Sainte-Menehould, en Champagne pouilleuse, mon genou gauche avait donné des signes de fatigue après 17 km et le droit avait suivi quelque temps après. La fin de ce trail (57 km) avait été une vraie galère et une grande souffrance. Pour la première fois j’avais songé à abandonner et je pense que j’aurais dû le faire, car en plus il n’y avait pas de tee-shirt finisher !!.
Quatre heures pour rejoindre le Bono de Locmariquer, c’est bien plus que les marcheurs du 87 km qui se déroulera un peu plus tard dans l’après-midi. Durant cette longue traversée du désert les envies d’abandonner reviennent régulièrement. La recette est simple. Si vous avez envie d’abandonner calculez le temps que vous allez mettre pour faire 40 km à 4 à l’heure, restez en légère hypoglycémie (on ne s’en rend pas compte sinon qu’on ne veut pas courir) et je ne vous donne pas longtemps pour décider que tout cela est débile et que dès que possible vous appelez votre belle-sœur pour qu’elle vienne vous chercher. A moins que vous n’ayez un antidote !! Pour les hommes, c’est souvent : je n’ai jamais abandonné, ce n’est pas aujourd’hui que je commencerais; ou bien : ma femme fait le 177 aussi et ça me ferait mal qu’elle termine alors que j’ai arrêté ! On peut en trouver comme cela beaucoup. Moi ce n’était pas cela, c’est un peu moins trivial, mais pas plus malin. Etant passé voir mon ostéopathe le jeudi midi avant de prendre le train (toujours cette incertitude sur les genoux : il n’y a rien me dit-il), je lui avais promis, fanfaron, de lui montrer le tee-shirt. Et pour cela il fallait finir !!!
Je prends mon temps, il reste encore l’équivalent d’un marathon. Repas avec les mêmes ingrédients que d’habitude, petit tour chez l’ostéopathe et ensuite chez le kiné. A priori je suis en bon état, en tout cas bien mieux que nombre de leurs clients. C’est dommage, je n’ai pas de motif d’abandon, il va falloir terminer. Un concurrent est couché sur son lit de douleur, il a le muscle du mollet collé au tibia. Il n’a pas l’air de souffrir, mais c’est l’abandon. Je ne vais tout de même pas jusqu’à me dire qu’il a de la chance. Je repars pour Arradon. Au départ marche et puis j’ai en ligne de mire un vieux grigou goguenard. Je trottine et je le dépasse. C’est le premier que je dépasse depuis Locmariaquer. Les chemins sont en sous-bois, larges et agréables. Le regain de forme ne durera pas très longtemps, car je mets trois heures et demie pour arriver à Arradon. Ensuite le chemin passe à Port-Blanc, embarcadère pour l’Île aux Moines. Le bord du golfe est assez habité par-là, mais très agréable.
Conclusion
Après analyse, les clefs de la réussite d’une épreuve de longue durée, c’est d’être régulier et de bien s’alimenter. Pour l’anecdote, deux femmes étaient séparées par dix minutes l’an dernier, en un peu plus de 28 heures. Cette année, elles sont séparées par 9 h 30, la première de l’an dernier étant la seconde cette fois ci. Tout plan sur la comète mal ciblé se paye cash et très cher.Après, sachant que la moitié des abandons sont dus à des problèmes de pied, attention aux chaussures et à la préparation des pieds pour les plus fragiles. Le 87 est abordable par un marcheur nordique correctement entrainé, le 177 nécessite une stratégie pensée. Soit on résiste bien au manque de sommeil et on peut essayer de la faire non stop, soit on prend en compte le temps, relativement large pour cette épreuve, 42 heures, et on s’octroie une bonne tranche de sommeil au milieu. A 6 km à l’heure on met 30 heures, il reste donc 12 heures pour les arrêts. On peut donc dormir correctement sachant qu’il y a des lits picot et des couvertures à Sarzeau, Locmariaquer et Larmor Baden. Sachez cependant qu’il vaut mieux privilégier le plaisir que la douleur. Certains du 177 km, doublés chaque année par ceux du 56 ou du 87 font peine à voir. Ce sont des zombies. Aller au bout de soi même c’est bien, mais si le plaisir vous a déserté, alors sachez que c’est trop. Nous avons eu une météo particulièrement clémente cette année. C’est une variable à prendre en compte. La grosse chaleur ou la pluie impacte beaucoup les capacités.
Pronostic : Alain a toutes les capacités pour faire un bon 87, Xavier Lally vise sans doute le 177. Etant donné la vitesse moyenne très faible, et la distance très longue, un bon marcheur peut tirer son épingle du jeu.OLIVIER