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Ce n'est pas seulement pour rendre hommage à Levon Helm, batteur et unique membre américain récemment disparu du légendaire groupe canadien que nous proposons cette chronique. C'est aussi et avant tout pour célébrer l'un des groupes les plus adoubés, mais aussi les plus sous-estimés du continent nord -américain de la fertile période des sixties.
Connue à ses débuts, lorsqu'ils s'appelaient encore les Hawks, pour être drivée par son batteur, ainsi que pour avoir été le groupe accompagnateur de Dylan le long des légendaires Basement Tapes, ou bien pour avoir servi de support-band de luxe aux côtés d'un autre compatriote canadien célèbre, j'ai nommé Neil Young, dans le fameux The Last Waltz de Scorsese, The Band a été une sorte de groupe crossover entre les éléments traditionnels du folklore américain et la pop la plus arrangée qui soit.
S'il est vrai que ces gens ont pu être être desservis par une image hick, et qu'à côté d'eux d'autres ploucs brillants comme Creedence Clearweater Revival ou Leonard Cohen auraient pu faire de l'ombre à Roxy Music ou Elton John au niveau de l'accoutrement, s'il est avéré que leurs longues moustaches, barbes ou crinières Amish n'auraient pas déparé dans La Petite Maison dans la Prairie, si enfin nos hommes ont redonné ses lettres de noblesse à la chemise à carreau bien avant la mode grunge, eh bien cela ne doit pas occulter les talents multiples de ces multi instrumentistes doublés de merveilleurs compositeurs.
Quand on sait qu'en outre, ils partageaient avec leurs contemporains des Byrds, Beach Boys et autres Buffalo Springfield une aisance chorale auquelle le dispute un nombre anormalement élevé de morts dans leurs rangs aujourd'hui (enfin, pas pour les Buffalo), depuis que Richard Manuel lead singer s'est suicidé il y a une trentaine d'années et que Rick Danko le bassiste l'a rejoint ad patres en 1999, nous comprenons l'urgence de la (re)découverte de ce groupe crucial.
Enregistré au sein de leur propre studio -ce Big Pink qui lui donne son nom- ce premier album sous l'entité The Band, fait la part belle aux traditionnels et aux folks dépoussiérés écrits à quatre mains avec Dylan, mais aussi aux plus belles créations du groupe, que l'on doit généralement à Manuel ou à Robbie Robertson son guitariste.
Il en est ainsi d'un disque puisant l'essentiel de son inspiration dans la Bible, le Nouveau testament, une critique acerbe du matérialisme et des idéaux expansionnistes (le Vietnam) américains - Neil Young disait tantôt que son statut de résident américain à la nationalité canadienne lui permettait aussi ce recul que n'ont pas les natifs sur leur propre pays. Tel dans ce liturgique "Tears of Rage", empreint de dramatique shakespearienne et qui offre une vision désabusée du rêve américain. Les Mercury Rev au carrefour de leur carrière en donneraient une adaptation extraordinaire. La parfaite "To Kingdom Come" qui lui succède, exsude le mysticisme à travers une très flippante histoire de fantôme, de mauvaise augure, et s'ouvre quasi sur le refain de la chanson, gimmick dont votre serviteur raffole. L'itinérante "In a Station" convie des vocalises angéliques qui contrastent singulièrement avec la noirceur poétique dont elle est baignée.
"The Weight", nouvelle réussite de Robertson et également l'un des plus fameux succès du groupe, convoque ce parfum de remords né d'un puritanisme étouffant tel qu'il pourrait s'en trouver au sein de l'inquiétant Dogville de Lars Von Trier, de cette culpabilité qui nous étreint face à nos semblables.
En face B, c'est un peu le feu d'artifice, car au détourd'un revigorant boogie ("We Can Talk") ou d'un autre majeure composition signée Robertson-Dylan ("I Shall Be Realeased"), ainsi que d'un traditionnel, ("Long Black Veil", qui sera repris entre autres par Nick Cave, tiens, tiens !), s'offrent également deux morceaux de choix : le "Wheels of Fire", oeuvre de Dylan et de Danko, reprise par......à peu près tout le monde, et dont Siouxsie and the Banshees ont signé une étonnante cover dans leur album de reprises de 1987, Through The Looking Glass. Ou la fatalité ornée de Mellotron oscillant !
Et LE morceau sans lequel nul grand disque ne saurait avoir droit de cité, et qui n'est certainement pas l'arbre qui masque la forêt, ce "Chest Fever", décrivant les tourments de l'âme d'un amant jaloux (poitrinaire ?) en proie à ses tourments intérieurs. Chanson dantesque introduite par un solo d'orgue de Garth Hudson (le vétéran du groupe) d'anthologie et empruntant aux Toccata de Bach, sur laquelle on peut voir des circonvolutions étonnantes dans le live 1974 du groupe à Wembley.
Peu après cela, le deuxième album éponyme et autre grande réussite du Band, sortirait en 1970. jusqu'à ce que les querelles d'ego se fassent jour, et que les premiers départs n'apparaissent - en gros, Robbertson signait un nombre anormalement élevé de morceaux au vu de la contribution supposée de ses compères. S'ensuivraient d'autres albums, moins fulgurants que ces deux premiers, mais d'un niveau toujours notablement au-dessus de la moyenne. Jusqu'à l'apogée du Band avec la parution des Basement Tapes et l'avènement de The Last Waltz.
Il est parfois salutaire de faire parler la fibre réac qui sommeille en chaque rocker.
En bref : une oeuvre d'autant plus magistrale qu'il s'agit d'un debut. Tout le folklore nord-américain arrangé et assimilé en 42', pour ce qui reste le meilleur testament de ce groupe certes peu glamour, mais qui n'en a pas oublié d'être cool. D'une modernité évidente, ce disque constitue l'une des pierres angulaires de l'americana et de la pop plus généralement US.
le site, le Myspace
"Chest Fever"
"To Kingdom Come"
"Tears of Rage" par Mercury Rev