Återkomsten Traduction : Agneta Ségol & Pascale Brick-Aïda
Extraits Personnages
Disons les choses franchement : je n'ai pas franchement accroché. J'ai eu l'impression - peut-être fausse - que, comme beaucoup d'autres, Nesser était comme paralysé par Henning Mankell.
J'avoue humblement que, dès qu'il est question de polar suédois contemporain, je crois voir Mankell au détour de chaque ombre, de chaque disparition, de chaque cadavre. Le succès international de l'écrivain et de son oeuvre y est sans doute pour beaucoup car, avouons-le, qui associe aujourd'hui les mots "polar" et "Suède" finit automatiquement par lancer le nom de Mankell : et si le lecteur ne peut pas y échapper, comment un romancier, arrivant en plus dans la profession quelques années après lui, pourrait-il y parvenir ?
Depuis Mankell et malgré quelques merveilleux opus comme "Le Guerrier Solitaire", "La Muraille Invisible" ou "Les Morts de la Saint-Jean" - le polar suédois est dominé par la tristesse et le désespoir et peine à retrouver l'humour qui, pourtant, était présent chez les Grands Anciens que sont Maj Sjöwall et Per Wahlöö. Chez Mankell, l'Auteur Engagé Par Excellence, l'humour n'est pas de mise. Il faut désespérer et se désespérer à bloc et affirmer ou laisser entendre à chaque chapitre que, dans cette société bassement capitaliste (comme l'est la société suédoise et, partant, toute la société occidentale), seule nous attendent décadence et déclin. Pas question de danser un bon rigodon et encore moins un rock échevelé issu des immondes U. S. au sommet de ce volcan en ébullition. Pas question de rire de sa fin prochaine ou de porter un ou deux toasts à celle-ci avant de s'égailler dans une dernière bacchanale : désespoir, rigidité, apocalypse (largement méritée), tel est le programme de Mankell.__
Comme c'est un excellent écrivain et qu'il est très doué pour planter son décor et créer des personnages et des intrigues crédibles, la recette a connu un grand succès. Dans ses conditions, vous diront ses confrères, pourquoi ne pas la suivre ?
Parce qu'il n'y aura jamais qu'un seul Wallander (le héros récurrent et pessimiste comme c'est pas permis de Mankell.) Et que le Désespoir, les méditations pseudo-existentialistes et le dégoût généralisé de la vie sans le moindre désir de la tourner en ridicule, poussés il est vrai à un rare degré d'intensité, sont ses marques de fabrique à lui, et à lui seul. Et puis parce que Wallander, à bien y regarder, il est sympa, on l'aime bien et on compatit - oui, on compatit parce que se poser autant de questions inutiles et se les reposer sans cesse, c'est une sorte de maladie
Dommage que la majeure partie des auteurs de polars suédois aient tant de difficultés à en prendre conscience. Tétanisés soit par la perspective des droits d'auteur qui doivent être ceux de Mankell, soit par l'angoisse de se rétamer honteusement s'ils tentent une autre recette, une autre sauce, ils n'osent plus bouger d'une virgule dans un paysage polardeux voué semble-t-il à ne plus abriter que les interrogations presque métaphysiques d'un policier indécrottablement dépressif.
Håkan Nesser, lui, a essayé. C'est déjà ça. Sa volonté de situer l'action de sa première série dans une ville qui pourrait être suédoise aussi bien que hollandaise ou allemande, le marque bien. Son héros, le commissaire Van Veeteren, tente aussi de se démarquer : il a la cinquantaine - dans ce roman d'ailleurs, il approche plus de la décennie suivante - entend vaincre un cancer des intestins qu'on vient de lui découvrir et, malade ou non, se plaint absolument de tout et de tout le monde. On suppose qu'il souffre, lui aussi, de la grande plaie ouverte de tous les héros de polars et de thrillers, quelle que soit leur nationalité, et qu'il a été malmené par la vie : à cinquante-sept ans, comment pourrait-il en être autrement ?
Autre point très important : Nesser n'hésite pas à utiliser l'humour, fût-il noir. C'est assez timide mais au moins, c'est agréable.
Malheureusement, le trait reste assez mal assuré, la description du microcosme villageois où est née toute l'affaire est contrainte, les personnages ne vivent pas vraiment et l'intrigue générale, avec ses flash-backs, semble un peu tirée par les cheveux. D'autant que Nesser ne donne aucune explication sur le caractère de la victime - un caractère qui lui a pourtant permis d'accepter de passer près d'un quart de siècle en prison alors qu'il était innocent. Suffit-il de préciser que, dès l'enfance, l'homme en question était particulièrement renfermé et indépendant, pour justifier cette extraordinaire performance ? Dans la réalité, peut-être. Dans la fiction, certainement pas. Quant à l'analyse de l'assassin, elle est du même tonneau et laisse, là aussi, le lecteur sur sa faim.
Pour m'assurer qu'il s'agit bien là du dessein voulu par l'auteur et non d'une erreur d'aiguillage, je lirai sans doute l'un de ses autres romans. Mais pas tout de suite.