LA CHRONIQUE DE FABIENNE PASCAUDScènes Télérama Oui, parce que les chroniques de Madame Pascaud marquent et quelquefois divisent.... Et ce Monsieur Ribes reste au Rond-Point au moins jusqu'en 2016.
-Christophe Lafargue trimballe sa colère.
D’APRÈS «LES SOLILOQUES DU PAUVRE», DE JEHAN RICTUS
Merd',v’làl'Hiver et ses dur'tés/V'là l'moment de n'puss'mettre à poils. »Avec son «vagabondage octosyllabique»,Garniouze, alias Christophe Lafargue, démarre fort. Pendant une heure et quart, on suit à la trace cet homme froissé, déclassé, dénonçant tout à trac les arnaques de la charité, l'absence de femme et l'épuisement de Dieu... De monument aux morts en perron d'église, le comédien issu du Phun, compagnie emblématique de la région toulousaine, trimballe sa peur sa colère dans un meuble à roulettes. L'homme compte les rimes sur ses doigts, fout le feu à des papiers extirpés d'un tiroir, fait surgir quelques rêves fragiles d'une poubelle. Le public, fatalement clairsemé - il faut bien s’accrocher pour entrer dans cette langue et dans cette histoire -, lui emboîte pas, subjugué par sa présence quasi messianique. Le texte, lardé d'argot, éclate d'actualité... Il date de 1897 et est signé Jehan Rictus (Les Soliloques du pauvre, éditions Au diable vau vert). On pense à La Faim, de Knut Hamsun, publiée en 1890. Entre les hallucinations du Norvégien et les divagations de l'héritier de la Commune, une même solitude, une même fureur de dire.MathieuBraunstein22 et 23 juin, à Villeurbanne (69),Invites, tél. : 047265 80 9030 juin et 1er juillet, à Sotteville-lès-Rouen (76), Viva Cité, tél. : 02 35 63 60 89.19 juillet, à Lodève (34), Voix dela Méditerranée, tél. : 04 67 88 410926 et 27 juillet, à Ax-les-Thermes (09),Spectacles de grands chemins en valléesd’Ax tél. : 056l646o60...|Toutesles dates sur garniouze-inc.blogspot.fr/
-Bon anniversaire au Théâtre du Rond-Point ! Dix ans déjà que, sous la houlette de son increvable capitaine-pirate Jean-Michel Ribes, le navire corsaire des Champs-Elysées accoste toutes les rives d'un théâtre diablement d'aujourd'hui. Normal : tous les auteurs qui y sontjoués (275 à ce jour!) sont vivants et de tous les horizons, de tous les genres, sans sectarisme aucun. Ici, Elfriede Jelinek a côtoyé Philippe Caubère ; Peter Handke,Jules-Edouard Moustic et Jacques Attali, Edouard Baer. C'était le pari. Pas facile. Quand il est choisi, en 2001, par Catherine Tasca et Bertrand Delanoë(l'Etat et la Ville subventionnent le lieu à parité) parmi une trentaine d'autres,Jean-Michel Ribes n'est pas encore le mauvais garçon à la mode qu'ilest devenu. L'intelligentsia culturelle coincée de la fin du XXe siècle méprise cet histrion ricanant qui a démarré dans les années 1960-1970 avec Copi,Arrabal, Savary et Topor, elle se pince même le nez devant des spectacles tapageurs où, sous des allures de farce potache, ta-bous et interdits sont gaillardement catapultés. Si le jeune Ribes a commencé par de grandes sagas romantiques qui firent les beaux soirs du Théâtre de la Ville (L'Odyssée pour une tasse de thé, Jacky Paradis), ce fils spirituel des dadaïstes a en effet viré fissa mauvais genre, aimant à brouiller les frontières entre bon et mauvais goût, à brasser le grotesque et le satirique, le vache et le tendre, le politique et l'intimiste. Sa revanche est aujourd'hui éclatante. Entre François Hollande, qui l'invite à sa prise de fonction, et sa ministre de la Culture,AurélieFilippetti, qui lui demande des avis, Ribes est devenu une sorte de pape (d'anti-pape?) du spectacle vivant.C'est que le succès du Rond-Point a dépassé les attentes. Et que le succès fait tout oublier. En une décennie, Jean-Michel Ribes a fait d'un lieu moribond, peuplé des tristes fantômes de Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud, un espace vibrionnant, lieu de plaisirs et de surprises, forum de libres paroles et libres idées. Au Rond-Point, ce qui importa dès 2002 n'était pas d'admirer comment tel ou tel avait monté un classique, mais d'entendre au plus près un verbe nous parlant au présent. Ça n'a l'air de rien, mais l'enjeu est capital. La pièce concernait désormais le public directement, hors l'emprise souvent étouffante du metteur en scène. Éclatait bien mieux diversité de tons et de manières. Le Rond-Point devint le haut lieu de l'incorrect. De quoi séduire forcément un public toujours avide d'inattendu, ne demandant qu'à être chahuté, bouleversé, enchanté. Pour se renouveler la tête, voyager, retrouver du plaisir, apprendre à résister aux contraintes, aux conformismes par le rire. Jusqu'à les défier. Les spectateurs sont venus en nombre dans cet antre aux trois salles de spectacle avec restaurant (bon) et librairie (belle), où on les accueillait bien mieux qu'ailleurs. Où on ne les prenait pas pour des crétins ou des snobs. Se souvenant en plus que la tragédie grecque avait célébré la démocratie des siècles avant Jésus-Christ, Jean-Michel Ribes voulut revenir à une fonction forum de son théâtre, où vinrent régulièrement discuter politiques, intellectuelset créateurs sur la marche des choses. Le respect du public amène le public ; public qui se forme, devient aventureux. Beau cercle vertueux ! On est étonné de la fidélité, de la gourmandise des spectateurs du Rond-Point qui, par leur bienveillance, leur attention, poussent au meilleur d'eux-mêmes les artistes, avouant eux aussi se sentir très bien ici.C'est que Jean-Michel Ribes donne de lui-même, toujours présent, toujours aux aguets, un peu comme Ariane Mnouchkine à la Cartoucherie. En moins grave. Car l'auteur-metteur enscène de René l'Enervé - il fallait oser s'attaquer à Nicolas Sarkozy des mois avant les élections -, le directeur libertaire qui accueille des Espagnols aussi provocateursqu'AngélicaLiddell ou Rodrigo Garcia déteste s'ennuyer. Pour notre joie. Sa hantise du vide crée autour de lui un pleinformidable. Il est reconduit à la tête du Rond-Point jusqu'en 2016. On en a besoin. Pour que culture et plaisir, surprise et intelligence se mettent à rimer. A se faire signe.Théâtre le Rond-Point