En réponse à Filippetti : “C’est l’éditeur qui fait la littérature”
Source Actualitte 29/06/2012
Madame la ministre de la Culture, je vous fais une lettre
Madame la Ministre,
Me permettez-vous, dans l’attente que vous me receviez un jour au nom du collectif d’auteurs à qui il ne reste que le « Droit du serf » pour se faire entendre, d’avoir le souci de votre récente nomination et de vous dire que votre étoile, si heureuse jusqu’ici, est menacée de la plus honteuse, de la plus ineffaçable des taches ?
Vous vous êtes sortie du piège concocté par vos adversaires politiques lors du redécoupage électoral. Vous apparaissez renforcée par cette victoire qui assoit votre légitimité. Mais quelle tache de boue sur votre ministère – j’allais dire sur votre sacerdoce – que cet abominable discours à l’Assemblée générale du Syndicat national de l’édition. Une prise de position dans la droite ligne tracée par votre prédécesseur qui résonne comme un camouflet contre ceux qui font la culture littéraire. Les auteurs, Madame la Ministre. Les auteurs seuls.
Madame la Ministre, je ne sais s’il était de votre devoir d’adresser un hommage aussi appuyé à la présidence du SNE d’Antoine Gallimard. Il est du mien de vous rappeler que, à la fin de son mandat, jamais les relations entre auteurs et éditeurs n’ont été aussi tendues, que, si monsieur Gallimard a été un interlocuteur indispensable pour les pouvoirs publics, jamais une loi « culturelle » n’a autant indigné les auteurs que celle sur la numérisation des œuvres indisponibles du XXe siècle à laquelle il a contribué depuis sa gestation, que son intransigeance a conduit plusieurs fois à la rupture des négociations entre les associations d’auteurs et le SNE, qu’il n’existe toujours aucun accord en matière de numérique entre les différentes parties, que, par contre, le SNE a négocié avec Google un accord qui lui vaut une levée de boucliers quasi unanime parce que, non content d’éclairer la loi du 1er mars 2012 sous un jour inquiétant, il se combine avec elle pour instaurer des pratiques contre lesquelles la loi était censée prémunir les auteurs, sans d’ailleurs le faire vraiment.
Pour votre information, Madame la Ministre, les auteurs n’ont pas attendu qu’Amazon – puisque c’est essentiellement cette grande entreprise technologique que vous désignez par ces termes – leur ouvre une porte pour réfléchir à la propulsion de leurs œuvres sur le marché du livre numérique en se passant des éditeurs et des intermédiaires qui leurs sont liés. Et il ne s’agit pas seulement d’autoédition. L’idée d’une coopérative d’édition numérique est née fin 2009, quand les auteurs ont trouvé dans leurs boîtes aux lettres les propositions d’avenants au contrat d’édition pour l’exploitation numérique de leurs ouvrages dans des conditions totalement indécentes. Vous usez vous-même d’un curieux euphémisme en disant que les éditeurs n’ont pas été assez audacieux sur le niveau des rémunérations servies aux auteurs en matière de droit numérique. Pourtant, ce faisant, ils ont poussé l’audace si loin que leur mépris pour ceux qui écrivent les livres ressortit à la témérité. Et vous avez raison : c’est une erreur manifeste que les éditeurs paieront… en termes contractuels et en droits d’auteur corrects, s’ils comprennent à temps qu’ils ne sont pas, pour une fois, en position de force, faute d’hégémonie.
Et vous êtes plus inquiète de la position des auteurs que de celle des éditeurs ?
Pourquoi, Madame la Ministre ? Parce que les auteurs remettent en cause l’iniquité ? Ou simplement pour « ne pas renoncer si tristement à un an de travaux menés de bonne foi par chacun des protagonistes », parce que vous partagez avec le SNE une obligation de réussite pour sauver, quoi qu’il en coûte aux auteurs, le projet d’exploitation numérique des livres indisponibles, tel que défini par un accord entre une seule association d’auteurs, la Bibliothèque nationale et le ministère ?
Quelle est cette bonne foi ? Quels intérêts privilégie-t-elle ? Pourquoi les seuls sans qui les livres n’existeraient pas – leurs auteurs – ont-ils le sentiment d’être floués ?
Vous avez fait part de l’objectif de redonner 2 points de résultats aux commerces indépendants pour assurer la pérennité de leur exploitation, j’en suis ravi pour mes amis libraires. Que ferez-vous pour les véritables précaires de la chaîne du livre que sont les auteurs, sans cesse plus paupérisés ?
Que de questions, n’est-ce pas ? Cela fait des mois que, parmi plus de trois mille auteurs, j’en pose des similaires sans obtenir de réponses qui ne soient pas des syllogismes, sans même que nos inquiétudes devenues revendications ne soit entendues.
Alors, je me réjouis de vous entendre dire que vous allez échanger avec les différentes parties sur ce dossier. Et j’attends.
Cette lettre est déjà longue, Madame la Ministre, et il est temps de conclure.
Je récuse l’assimilation de la culture à l’industrie culturelle.
Je récuse la confusion entre le commerce et la diffusion de la culture au plus grand nombre.
Je récuse l’amalgame entre la fonction de l’editor, comme le définissent les Anglo-Saxons, qui aide l’auteur à peaufiner son ouvrage, et celle de publisher qui, d’intermédiaire en intermédiaire, fabrique l’objet livre pour en permettre la commercialisation.
Je récuse la préséance accordée aux exploitants de la chaîne du livre sur les créateurs du contenu littéraire.
Je récuse la qualification d’utopique à mon aspiration de forger un nouveau modèle économique pour vivre même modestement de mon œuvre.
Je récuse l’éminence du rôle de l’éditeur dans le processus de création. J’affirme même qu’il nuit à l’indispensable autonomie créatrice en réduisant la diversité culturelle par une uniformisation marketing de la littérature.
Je récuse l’affirmation que l’écrivain ne naît qu’au travers du regard de l’éditeur. L’écrivain naît du désir d’écrire acquis au fil de ses propres lectures et du besoin de dire son monde ou le monde aux lecteurs inconnus par qui seuls il existera en tant qu’écrivain.
Alors, je vous demande en vous paraphrasant, Madame la Ministre, puisque les auteurs sont « balayés, pas insultés, non, simplement omis » par les Wendel de l’industrie littéraire, où est passée votre « saine haine de cette bourgeoisie bleu-blanc-rouge » qui détricote le Code de la propriété intellectuelle pour faire valoir un droit d’éditeur en lieu et place du droit d’auteur, comme leurs semblables se sont employés, sous le régime de vos prédécesseurs au gouvernement, à éradiquer les vestiges du programme du Conseil national de la Résistance ?
Ce sont les écrivains qui font la littérature.
J’attends, écrivait Zola.
Rien n’a changé. J’attends à mon tour.
Veuillez agréer, Madame la Ministre, l’assurance de mon profond respect.
Ayerdhal