Au début du XIXe siècle, alors que l’ouest américain est en grande partie ignoré des blancs, l’élevage en Amérique du nord est essentiellement cantonné dans le sud, sur les terres des haciendas d’origine espagnole. Plus au nord, sur ces grandes plaines, il n’y a encore que des bisons et des indiens. Les européens ne s’intéressent guère à ces territoires dont l’immensité n’a d’égale que la platitude. Il y pleut si rarement que l’agriculture n’est pas vraiment envisageable. Les arbres n’y poussent que difficilement pour la même raison, mais aussi parce que l’eau des rivières est la plupart du temps saturée des substances chimiques que la roche volcanique y distille. Les moyens de communication sont bien évidemment inexistants et même les cours d’eau ne sont pas navigables, soit par manque d’eau, soit par profusion de marais et de sables mouvants. Et pour couronner le tout, l’hiver est y glacial
Déjà, au XVIe siècle, Francisco Vázquez de Coronado,, le premier explorateur du centre de l’Amérique du Nord, annonçait au roi d’Espagne « Il parait impensable de s’installer ici » et décrivait ces plaines en ces termes « …aucun communication n’existe, le pays est si froid qu’il semble impossible d’y passer l’hiver alors qu’il n’y a aucun bois, ni vêtements pour protéger les hommes, hormis les peaux dont se vêtissent les indigènes … ».
Plus tard, le major Stephen Harriman Long, le premier explorateur américain des grandes plaines, fit un rapport dans lequel il les nomma « le grand désert américain ».
Et dès lors, les grandes plaines furent constamment dénigrées. « le sommet de la stérilité et de la désolation » d’après le journal Le Tribune de New York. Seule l’herbe y pousse, et encore, au printemps après la fonte des neiges et avant la sécheresse de l’été. Qui dans ses conditions pourrait bien s'y intéresser ? Et pourtant lorsque l’herbe est là, elle forme un épais tapis vert d’une quinzaine de centimètres dont se ravissent les millions de bisons qui parcourent la prairie.
Tout commence lorsque les grands propriétaires de bétail du Texas se rendent compte qu’il faut accroitre leur cheptel pour répondre aux besoins en viande de la côté est. Les premières migrations de troupeaux vers le nord vont alors débuter.
Le cycle végétatif des grandes herbes imposent aux troupeaux d’incessants déplacements afin de trouver des pâturages conséquents d’autant que les troupeaux comptent de plus en plus d’animaux. Peu après cette époque, par exemple, on estime le nombre de bovins, ne serait-ce que dans le Wyoming, à plusieurs millions de têtes. Un autre facteur déclencha ce phénomène. Si au Texas, l’animal se vendait 3 ou 4 dollars par tête, le bénéfice était 10 fois plus élevé dans l’ouest.
De nouvelles pistes, permettant les mouvements des troupeaux, apparaissent. La route d’origine qui menait en Californie[1] cède la place aux pistes de l’ouest, celles de « Goodnight-Loving » qui mène au Wyoming, La « piste nationale » qui atteint le Montana. La piste de l’ouest qui mène aux états du Dakota. La piste « Chisholm[2] » qui va au Kansas. La piste « Shawnee », quant à elle, atteint les rives du Missouri et du Mississippi. La construction du chemin de fer dans le centre du pays va accroitre les mouvements de troupeaux vers les gares ferroviaires. Après l’éradication des révoltes indiennes, plus rien ne semble s’opposer aux « barons » de l’élevage américain. Et pourtant.
Carte des pistes de l’ouest américain
Pour mener ces troupeaux dans l’ouest, il fallait de rudes cavaliers, et si possible connaissant le bétail, tels ces vaqueros mexicains et texans. Des hommes qui avaient carte blanche pour mener les convois à bon port sans trop de pertes. Ces hommes expérimentés n’étaient pas rares. La conquête du Texas au détriment du Mexique, la guerre de sécession, la conquête des terres ou l’installation faisait le propriétaire, tous ces évènements avaient forgés ces hommes que l’armée libérait. Leurs seuls dons étaient cet esprit conquérant chevillé au corps et la possession d’un cheval, d’un 6 coups et d’un lasso. Ils étaient, dès l’hacienda quittée, les maîtres de ce monde en devenir.
Il faut ABSOLUMENT lire, « Lonesome Dove » de Larry McMurtry, Prix Pulitzer en 1986, que vient de publier les éditions Gallmeister en 2 tomes pour se faire une idée de l’aventure que pouvait représenter cette gigantesque entreprise. Il s’agit bien là de l’invention du cow-boy, de l’élevage, du far-West, de l’irrésistible déclin de la civilisation indienne, et de la toujours vivace mentalité de la société terrienne de l’ouest américain.
Le roman retrace le convoyage d’un troupeau du Texas au Montana. Il est important car il montre bien ce que pouvait être la vie sur les pistes. Celles du ou des chefs de piste, des éclaireurs, des cow-boys, de la cuisine roulante. Et bien évidemment les péripéties que leur réservaient les conditions climatiques, les pièges que leur présentait la piste, les rencontres inopinées avec des bêtes sauvages, hommes ou animaux… Un livre qui, malgré son épaisseur, ne vous lâche plus.
Les plaines et vallées oubliées par l’homme blanc vont alors être l’enjeu de luttes farouches et sanglantes. Dans un premier temps, l’indien sera l’homme à abattre. J’en ai déjà parlé. L’histoire est connue. Je n’y reviendrais pas. D’autres luttes apparaitront.
Au cours des rassemblements de bétail, des cow-boys se disputaient des veaux nouvellement nés ou des bouvillons errants. Disputes qui se terminaient parfois dans un bain de sang.
Charles M. Russell
Lorsqu’ils arrivaient à destination, les cow-boys dépensaient la plupart du temps leur solde en plaisirs divers. Plaisirs qui souvent concourraient à quelques excès, disputes et plus graves encore. Une soirée « en ville » débouchait souvent à une confrontation avec le sheriff local. Un journal de l’époque cite « lorsqu’ils ne sont pas au travail, les cow-boys sont une terreur dans la mesure ou ils donnent libre cours à leur exubérance ». Les villes de marché à bestiaux prient des mesures radicales. Le sheriff en fut l’instrument. De célèbres tireurs furent engagés, tels James Hickok, Wyatt Earp, William B. Masterson, Thomas J. Smith avec pour consigne de faire appliquer des décrets relativement contraignants. Ce qu’ils ne perdaient pas au jeu, en boisson, en prostituées, suffisaient à peine à régler les différentes infractions à ces décrets. Ils ne leur restaient plus qu’à prendre le train pour revenir au ranch avec le billet de retour que le propriétaire avait prit soin d’inclure au salaire.
Charles M. Russell
Mais cela n’était que peccadilles.
Le chemin de fer qui fit le bonheur des « barons » de l’élevage, en transportant les troupeaux vers l’est, apportait en retour de nombreux immigrants tenant à la main le « homestead Act » leur octroyant 160 acres jusque là dévolues au bétail.
Les mêmes années (1886-1867), les cours de la viande s’effondrent, puis deux étés de grande sécheresse suivit d’un hiver particulièrement rigoureux déciment les troupeaux. Des ranchs cessent leur activité et libèrent leurs cow-boys. Ceux-ci s’installent aussitôt comme les autres immigrants sur des terres du « homestead Act ». Et qui se procurent sans vergogne un cheptel en attrapant les bêtes non marquées de leurs anciens patrons. Ces derniers ripostent en engageant à leur tour des hommes de main afin de protéger leur troupeau. L’affrontement est inéluctable !
En 1889, Jim Averell et sa compagne Ellen Liddy Watson, projettent de s’installer sur les rives de la Sweetwater River. Ce que conteste Albert J. Bothwell, l’un des plus grands propriétaires de bétail du Wyoming, qui considèrent le terrain comme sa propriété. Jim Averell , ancien soldat, n’est pas un homme à se laisser faire. Il a tué un homme du nom de Charlie Johnson à Buffalo, et bien qu’il ait été détenu à la prison de Rawlins pendant un certain temps, il n'a jamais été condamné et a finalement été libéré considérant la légitime défense.
Les tractations s’enveniment. D’autant qu’Averell publie, en avril 1889, dans le « Cheyenne Weekly », un pamphlet contre la « Wyoming Stock Growers Association » mettant en cause ses méthodes expéditives et accusant nommément Bothwell de voleur et assassin. Le 20 Juillet 1889, Bothwell et cinq autres hommes, se saisissent de Jim Averell et d’Ella Watson puis, sous l’accusation de vol de bétail, les pendent au cœur d’un petit canyon de la Sweetwater River !
Jim Averell
L’affaire fait grand bruit, surtout parce qu’une des victimes était une femme. Mais, finalement, Bothwell ne sera pas inquiété, faute de preuve, et surtout de témoins qui se rétractèrent, furent abattus ou disparurent sans laisser de trace… La mort du couple fut l’un des nombreux événements qui ont déclenché la « Johnson County War » dans le Wyoming en 1892 qui vit l’affrontement entre agriculteurs et petits éleveurs contre le puissant « Wyoming Stock Growers Association » des « barons » de l’élevage.
Frank Canton
Fin 1891, Un petit fermier et l’un de ses amis sont retrouvés abattus sur la piste qui mène à Buffalo. Chacun d’une balle dans le dos. Dans la ville, la rumeur désigne Frank Canton, vigile de la « Wyoming Stock Growers Association » comme meurtrier. Canton est un ancien cow-boy qui a mal tourné. Pilleur de banque, il a fait de la prison pour le vol d’une banque texane de Comanche. Puis fut sheriff de comté de Johnson, comme quoi ses relations avec l’association des éleveurs étaient restées excellentes. Il est d’ailleurs soupçonné comme étant l’un des meurtriers du couple Averell et Watson. Cela ne l’empêchera pas de devenir plus tard marshal des Etats-Unis du célèbre juge Isaac Parker. Il fut même nommé en 1897, « US Deputy Marshal » en Alaska.
Je laisse maintenant la parole à Michel Le Bris qui, dans sa remarquable introduction au livre « L’homme des vallées perdues » de jack Schaefer que publia récemment les Editions Phébus, parle mieux que moi de ces évènements : « Puis, quelques semaines plus tard (après le forfait de Canton), les plus exaltés des barons rassemblent vingt-cinq tueurs, volent un canon à Fort-Russel, s’emparent d’un train à Cheyenne et foncent sur Buffalo, décidés à en finir avec cette ville rebelle, et à liquider du même coup soixante-dix indésirables dont le secrétaire de l’Association a dressé la liste nominative. Mais ils commettent l’erreur de s’arrêter en chemin, pour régler le sort de deux fermiers inscrits sur la liste, dont le ranch se trouve entre Casper et Buffalo – les deux malheureux seront exécutés, mais après un jour de siège, le temps que les habitants de Buffalo, prévenus, se rassemblent et encerclent à leur tour les barons et leurs sbires.
L’armée séparera les belligérants, mais la guerre de Johnson County, marquera un tournant : a travers soubresauts et tumultes, force restera désormais à la loi. Les barons du bétail rentreront peu à peu dans le rang. Fin de l’Ouest sauvage ? Début d’une autre époque ? Et c’est ce basculement que choisir de dire SHANE… »
Shane est le héros du roman « L’homme des vallées perdues », un roman somptueux qui décrit, comme le dit Michel Le Bris, la vie dans ces contrées lors de cette époque tumultueuse qui fit le Far West. Un film, réalisé par George Stevens, a été tiré de ce roman, avec Alan Ladd et Jack Palance. Un film culte alors que le livre, pourtant un chef d’œuvre, n’est que peu connu, du moins en France. Un livre donc que je vous conseille de lire de toute urgence, ave la certitude qu’il vous emballera puisque vous avez été assez intéressé pour lire ce texte jusqu’ici.
Avant de terminer, je voudrais signler la présence des personnages dont je viens de parler, tel Canton, Averell et Watson, dans le film « La porte du Paradis » de Michael Cimino (1980). Si les personnages sont historiques, le scénario se laisse aller à quelques écarts de la vérité des faits. D’autres films d’ailleurs s’inspirèrent de ces évènements comme « The Invasion of Johnson County », (un téléfilm diffusé en France sous le titre « Echec aux hors-la-loi »), « Tom Horn » (dont l’élaboration du scénario vit la particpation de l’écrivain Thomas McGuane) ou encore « Pale Rider » de Clint Eastwood.
[1] Cette piste reprit du service lorsqu’on découvrit de l’or en Californie et qu’il fallut bien nourrir les milliers de mineurs qui y affluèrent. En 1848, T. J. Trimier amena en Californie 500 bovins du Texas ou il les négocia 100 dollars pièce.
[2] Egalement appelé « Mc Coy »