Ce n'est pas seulement le décès récent de Levon Helm, légendaire batteur du plus grand groupe canadien, qui nous pousse à présenter cette chronique. Il s'agit pour le moins de rappeler certains fondamentaux.
The Band n'était pas seulement les anciens Hawks, groupe accompagnateur de Dylan, avec qui furent gravées les légendaires Basement Tapes. Ni le groupe de session de luxe qui sévit au sein de The Last Waltz de Martin Scorsese. C'était avant tout l'un des plus grand groupes de la scène nord-américaine des sixties - quatre de ses membres étaient candiens, et seul Levon était américain- doté d'autant de chanteurs et de de compositeurs, comme c'était alors l'usage, au sein des Buffalo Sringfield, Beach Boys et des Byrds.
Aujourd'hui, comme c'est du reste le cas pour nombre de ces groupes, à part pour le Buffalo il est vrai,The Band compte plus de membres ad patres qu'opérationnels ; Levon rejoignant ainsi le chanteur lead Richard Manuel suicidé ainsi que le bassiste Rick Danko au paradis des rockers.
Sur le papier, ainsi que les pochettes, The Band n'était pas un groupe très sexy, avec leurs moustaches et autres barbes amish, leurs mines patibulaires sépia, leur folklore peu engageant. Et pourtant : voila un groupe qui composait et chantait comme il respirait, et qui avait fait ses armes avec ce vieux barde grincheux de Dylan, en concevant ainsi un savoir-faire incomparable, une americana (tiens, le mot est à la mode et cité ces jours-ci par le cousin ultime Neil Young) maîtrisée.
Bref, ce rock, cette folk réac n'aurait ces jour-ci, et à l'heure des fringues flashy des horribles Klaxons (je prends le groupe flashy le plus emblématique qui me vient à l'esprit) que peu de voie de cité. Comme il y a un réac qui sommeille, qui fait plus que sommeiller même, en chaque rocker, nous ferons fi de l'accoutrement hick des membres du Band, à faire passer Creedence Clearwater Revival (qui arborait fier aussi le port de la chemise à carreau, bien avant que celle-ci ne devienne un produit de mode à la sauce grunge) pour Roxy Music, ou Johnny Cash pour Elton John.
Un parti pris minimaliste jusqu'au nom du groupe ; on ne saurait être plus clair !
Et en 1968, ce petit monde s'attela à l'enregistrement de son premier album sous son nom dans son studio qui répondait au nom de......Big Pink, d'où le titre de l'oeuvre.
La musique ? Rhhhah...dès "Tears Of Rage", écrite à quatre mains avec Dylan, et dont il existe une cover fantastique par Mercury Rev sur une vieille session radio, c'est un feu d'artifice, Richard Manuel a cette voix de vieux crooner qui fustige le matérialisme américain, dans une atmosphère liturgique, initiée par l'orgue (on y reviendra) du vétéran de la bande Garth Hudson, et des citations de l'Ancien testament. "To Kingdom Come", autre ravissement crescendo, qui s'ouvre sur un refrain (gimmick hautement apprécié de votre serviteur), et où les voix à l'unisson ou en décalé, font merveille. "In a station" offre des choeurs graciles, et à la hauteur du désenchantement spirituel du héros itinérant. Ce même héros itinérant qui ne déparerait aucunement dans le très conservateur et puritain village du Dogville de Lars Von Trier. Poids de la culpabilité, remords dicté par la religion, c'est évidemment ce que sous-tendent les paroles shakespeariennes de 'The Weight" l'un des plus grands succès du groupe, repris par les Supremes, entre autres.
Sur l'autre face, c'est aussi un feu d'artifice puisqu'on y trouve également, le traditonnel "Long Black Veil" qui serait plus tard interprété par Nick Cave (tiens, tiens !), les classiques dylaniens "I Shall Be Released" et 'This Wheel's On Fire", l'une des chansons les plus célèbres du répertoire, signée Danko le bassiste et Dylan, et qui figure brillamment sur l'album de covers réalisé par Siouxie and The Banshees en 1987.
Mais que serait cependant un grand disque sans son morceau de bravoure inaltérable, qui n'est pas l'arbre qui masque la forêt, hein ! j'ai nommé, l'insurpassable, l'inhumain "Chest Fever" que Garth Hudson, l'homme qui même jeune faisait vieux (en fait, il ne l'a jamais été...jeune) s'accapare dans un jeu d'orgue virevoltant empreint de Toccata de Bach, et fait naître la fournaise dans le coeur meurtri d'un amant jaloux (poitrinaire ?). Extraordinaire morceau dont il existe une non moins flamboyante version live à Wembley 1974, dans laquelle Hudson laisse libre cours à des circonvolutions sans fin.
On le voit, religion, quête de spiritualité, Bible, critique de la société américaine (normal) illuminaient déjà l'oeuvre d'une modernité sans pareille, à l'époque où elle fut conçue. Et l'âge d'or du Band durerait, pour ce qui est de sa créativité, encore le temps d'un album, celui éponyme de 1969.
Après quoi des conflits d'ego- le guitariste Robbie Robertson signait quasi tous les morceaux et ne donnait pas sa part aux chiens lorsqu'il s'agissait de créditer ses camarades de jeu- scellerait les premiers départs, et malgré une inspiration toujours largement au-dessus de la moyenne, le groupe ne rééditerait plus ses deux fameux faits d'armes.
En bref : et un coup de maître doublé de classique en guise de debut. L'histore de l'americana à son apogée, par l'un des groupes les plus adoubés et les plus sous estimés d'une période charnière nord_américaine. L'absence de glamour ne doit pas masquer le cool, en paticulier de cet album magnifique.
"Chest fever"
"To Kingdom Come"
"Tears of Rage" par Mercury Rev