Après de longues années comme vendeuse dans diverses chaînes de prêt-à-porter, j’avais pris cette petite boutique. Une nouvelle autonomie, loin d’une petite chef qui changeait chaque année, qui cédait à la pression en ouvrant son parapluie, opprimant en retour ses subordonnées. Aucune chance de progresser, pour chaque fois des raisons différentes, l’âge devenait un handicap, même si l’inexpérience des jeunettes nouvellement embauchées, était une jambe de bois plus évidente.
Libre depuis quelques jours, après un départ négocié, libre de gérer maintenant son temps, ses horaires d’ouverture et de fermeture, libre d’agencer les petites robes d’été par couleur, par longueur, par matières, par envies, par tendances, libre de ne pas être la petite main soumise à un modèle marketing obligatoire.
Libre de créer une vitrine à son goût avec des petites touches vintages comme des bottes anciennes, un corset des années 50, des gants en soie, une paire de bas nylon, un univers féminin dès le premier regard. Mon boudoir était là, au milieu du tourbillon, pour les clientes habituées dans ce quartier à des enseignes qu’elles retrouvaient dans tous les centres commerciaux. Je proposais des robes taillées, confectionnées et cousues dans l’arrière-boutique, fait maison, avec des patrons anciens. Des pièces quasi uniques au gré des envies de matières, des rouleaux de tissus achetés çà et là, des bouts, des pièces, des satins, des soies, des mousselines, des essais romantiques ou parfois chaotiques, gothiques récemment. Les clientes trouveront des coupes néo-rétro mais revisité dans le classicisme d’un jersey fluide ou d’un vynil étonnant.
Je vois ainsi défiler des jeunes femmes qui adorent l’excentricité avec une forme corolle, des petits plis qui brillent. Je pousse les infos sur le net, sur les blogs, sur ma page facebook, je twitte. Je paye ma community manager, une babydoll un brin kawaï en lui cousant et en lui créant des modèles uniques.
Une fois par quinzaine, elle passe, elle anime mon réseau, ma publicité 2.0, je lui envoie les photos au fur et à mesure des créations. La boutique vit sur le net et dans derrière cette devanture. Puis je lui montre les nouveautés, elle essaye, elle adore se glisser dans mon bonbon géant, une cabine d’essayage rose, capitonné en velours rose, avec des miroirs roses, une chaise de princesse rose ! Elle passe sur sa paire de bas nylon, des robes de couleurs, jouant avec ce nouveau cuir rose plissé en minirobe, avec ce col claudine jaune citron sur une robe pull tilleul. Elle adore ces moments, défilant dans la boutique vide le soir, draguant mes mannequins de bois, plotant les fesses de mon groom en tutu. Nous sommes devenues amies, par hasard, elle faisait un stage dans un grand magasin, nous avons partagé nos rêves un midi en mangeant nos déjeuners, en parlant mode. Elle m’avait montré ses fantaisies virtuelles, ses mondes féeriques du web. Je lui avais parlé de mon rêve, cette boutique.
Nylonement