Entre une autocratie militaire et une démocratie qui favorise l’islamisme, la
voie est étroite. Pas seulement dans les révolutions arabes d’aujourd’hui mais déjà dans l’Algérie des années 1990.
Dans quelques jours, le 5 juillet, les Algériens vont fêter le
cinquantenaire de leur indépendance. Une façon de panser les plaies et d’avoir un regard vers l’avenir. Mais il y a un anniversaire sans doute moins médiatique et plus pessimiste. C'est le
vingtième anniversaire de l’assassinat de Mohamed Boudiaf le 29 juin 1992.
Boudiaf fut un des acteurs historiques de cette indépendance, cofondateur du FLN. Il fut ministre d’État dans
le premier gouvernement provisoire du 19 septembre 1958 au 22 juillet 1962. Il était de la même génération que Ben Bella qui vient de mourir (le 11 avril 2012). Il était un tout petit plus jeune
que lui, deux ans et demi.
Mais il se brouilla avec lui au moment de l’indépendance, créa alors un parti d’opposition, puis fut
emprisonné le 23 juin 1963 et même condamné à mort en 1964 mais il a réussi à se réfugier en France puis au Maroc.
Chadli Benjedid, dix ans plus jeune que Boudiaf, a récupéré le pouvoir après la mort de Boumediene, et se
retrouva dans une impasse politique à la fin des années 1980.
Il a en effet ouvert la voie du multipartisme et des élections vraiment libres après sa "réélection" le 22
décembre 1988 et la ratification par référendum d’une nouvelle constitution le 23 février 1989, ce qui a conduit les islamistes à créer leur parti, le FIS (front islamique du salut), reconnu par
l’État le 6 septembre 1989, et à remporter en 1990 plusieurs élections locales (presque mille communes sur mille cinq cents et trois cinquièmes des provinces.
Il faut se rappeler le contexte historique international : premier gouvernement libre en Pologne,
répression sanglante à Pékin et chute du mur de Berlin. Le 25 décembre 1991, fin de l’Union soviétique.
Le 26 décembre 1991, le premier tour des élections législatives plébiscitèrent le FIS en remportant cent
quatre-vingt-huit sièges sur deux cent trente et un, vingt-cinq sièges pour le FFS de Hocine Aït Ahmed (qui a 85 ans) et quinze seulement pour le FLN au pouvoir. L’armée décida de rompre le
processus électoral en n’organisant pas le second tour. Les collectivités dirigées par les islamistes furent dissoutes et les dirigeants du FIS arrêtés, Abassi Madani et Ali Belhadj.
Acculé à la démission le 11 janvier 1992 par les militaires, Chadli Bendjedid, qui souffre depuis plusieurs
d’un cancer, a laissé le pouvoir à Boudiaf, encore en exil (vingt-huit ans !) et considéré comme un homme neuf (préféré à l’actuel Président algérien, Abdelaziz Bouteflika).
Mohamed Boudiaf, appelé aussi Tayeb El Watani pendant la guerre d’indépendance, fut nommé Président du Haut
comité d’État le 16 janvier 1992.
Des vagues d’attentats se déroulèrent pendant plusieurs années, revendiqués par le GIA (groupe islamiste
armé) ou provoqués par l’armée algérienne. La guerre civile fut à son comble ce 29 juin 1992 quand Mohamed Boudiaf, visiblement homme de bonne volonté, fut assassiné sauvagement au Palais de la Culture d’Annaba après avoir lancé une campagne contre la corruption et après avoir prononcé
ces paroles : « L’être humain n’est que de passage ici-bas. La vie est brève, nous devons tous disparaître un jour. ».
Lorsque la foule entendit les tirs et s’est mise à plat ventre, Boudiaf resta debout et continua imperturbablement sa
conférence. À 73 ans, il fut tué d’une dizaine de balles dans le dos. Les vrais auteurs de cet assassinat ne sont toujours pas identifiés et leurs motivations non plus. L’ambulance a même été
visée par les tirs.
Le rapport de l’armée
algérienne n’a pas été très concluant (et même un peu léger dans son travail) même s’il a favorisé la piste du militaire isolé influencé par des mouvements islamistes : « L’auteur matériel du crime a (…) tenté de justifier son crime par des considérations tirées de ses convictions religieuses, acquises à travers ses nombreuses
lectures et en particulier sous l’influence de l’action des mouvements islamistes à l’intérieur et à l’extérieur du pays (…). Il dit être favorable à la violence pour l’élimination de l’injustice
et des oppresseurs. Selon lui, la source essentielle de l’oppression se situe au plus haut niveau de l’État. C’est pourquoi il estime qu’il n’a pas tué Mohamed Boudiaf en tant que personne mais
en tant que symbole de chef d’État. Il affirme que l’idée de commettre un tel attentat est née dans son esprit à partir de l’année 1989. ».
Au contraire, selon l’épouse de la victime, Fatiha Boudiaf, la piste islamiste serait à exclure et tandis que
l’armée aurait eu tout intérêt à empêcher les transformations proposées par Boudiaf, le sincère, l’honnête, l’incorruptible.
Amine Benabderrahmane, secrétaire particulier de Boudiaf, a décrit en effet le Président assassiné comme un
serviteur pour ses compatriotes : « Montrant sa détermination, il avait décidé dès son retour au pays de rétablir l’autorité de l’État. Il était
le chef incontesté, mais le pouvoir ne l’intéressait nullement. Il était là au service du peuple et pour le peuple qui souffrait chaque jour. » ajoutant à propos de l’islamisme :
« Il refusait les compromis avec les fanatiques, ces monstres sans foi ni loi qui tuaient, brûlaient et égorgeaient au nom de Dieu comme si Dieu le
Tout-Puissant pouvait cautionner leurs vils desseins. ».
Aujourd’hui, le processus de réconciliation nationale avec les terroristes islamistes semble fonctionner mais
la démocratisation reste encore hésitante. À 75 ans, malade, Abdelaziz Bouteflika en est à son troisième
mandat présidentiel : en fonction depuis 27 avril 1999, élu les 15 avril 1999 (74,0%), 8 avril 2004 (85,0%) et 9 avril 2009 (90,2%), et ne semble pas prêt à lâcher prise.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (29 juin
2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Vidéo : les dernières paroles de Boudiaf le 29 juin 1992.
Rapport officiel sur l’assassinat de Boudiaf (texte
intégral).
L’Égypte entre armée et
islam.
Entre vert
moutarde et vert croissant.
Bouteflika.
Les révolutions
arabes.
La Turquie.
http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/hommage-a-mohamed-boudiaf-1919-119134