Fabrice Brégier et Raymond Conner entrent en scène.
Les grands salons internationaux de l’aéronautique servent aussi à cela : à faire connaître les géants de la profession. Leur médiatisation est une réalité que n’ont pas connue les pionniers, à quelques rares exceptions près. Mais, aujourd’hui, il en va tout autrement, au point de faire croire que ces surhommes ont la science infuse et travaillent seuls ou, au mieux, avec une garde rapprochée de roseaux pensants. La réalité est évidemment bien différente mais les grands patrons, à tort ou à raison, jouent volontiers les directeurs de la communication. Ils sont la vitrine de leur société, ils en portent l’étendard.
Vu sous cet angle, le salon de Farnborough, qui ouvre ses portes dans quelques jours, va permettre à deux frères ennemis de se placer pour la première fois sous les feux des projecteurs, Fabrice Brégier pour Airbus, Raymond L. Conner pour Boeing Commercial Airplanes (notre illustration). Une double entrée en scène attendue avec intérêt et curiosité.
L’un était attendu de longue date à ce poste, l’arrivée du second constitue une surprise. Fabrice Brégier était depuis plusieurs années le puissant numéro 2 d’Airbus, chief operating officer dans le jargon anglo-saxon qu’affectionne l’avionneur européen. Un homme de l’ombre dans la mesure où c’est plutôt dans la coulisse qu’il a notamment mené à bien l’installation du plan de réduction des coûts Power 8. Il était d’autant mieux préparé à succéder à Thomas Enders.
Aucun dossier à traiter n’était inattendu à ses yeux. A savoir l’impérieuse nécessité d’éviter que le nouvel A350 ne prenne davantage de retard, une tâche difficile, et la bonne gestion de la montée en cadence de la gamme A320, en évitant soigneusement que la chaîne d’approvisionnement ne s’essouffle. Le NEO remotorisé a connu un démarrage commercial en trombe, avec 1.425 exemplaires vendus depuis son lancement. Maintenant, il s’agit de les produire et de les livrer en heure et en temps. A terme, une chaîne d’assemblage implantée aux Etats-Unis pourrait aider à atteindre cet objectif, encore que les commentaires précipités, prématurés, consacrés ces jours-ci à cette hypothèse confondent dangereusement assemblage et production. Un dossier à suivre.
Raymond Conner, pour sa part, arrive à la tête de Boeing Commercial Airplanes sans prévenir. Il succède soudainement à Jim Albaugh, qui a apparemment choisi de partir en retraite sans plus attendre. Mais on n’imagine guère qu’il ait déçu, tant la tâche qui lui avait été confiée il y a quelques années était rude. Principalement en raison des retards catastrophiques (et coûteux) accumulés par le 787 et le 747-8. Conner prend la suite dans un contexte apaisé mais non dénué de grands défis : faire passer au plus vite la cadence de production du 787 de trois et demi à dix par mois, et celle du 737 à 40/mois.
Brégier et Conner, qui ne se connaissent probablement pas, partagent les mêmes soucis, demander l’impossible –ou presque- à la «supply chain» et maîtriser la mise en place de leurs «nouveaux» monocouloir, A320 NEO et 737 MAX. Cela, côté américain, sous le regard attentif de Jim McNerney, PDG du groupe qui a fait de son mieux tout au long de la traversée d’une zone de fortes turbulences. Du coup, les deux rivaux, qui ne se sont pas encore exprimés publiquement sur la fin plus ou moins prochaine de leur duopole, n’auront sans doute pas le loisir, à Farnborough, d’évoquer le C919 chinois et le MS 21 russe. Le pire, d’ailleurs, est de les ignorer.
Quoi qu’il en soit, tout est affaire d’image et d’éducation des médias. Ces derniers, ces jours-ci, affirment que Boeing se prépare à dépasser Airbus en termes de prises de commandes, que les Etats-Unis reprennent la main, que les tendances sont en train de s’inverser sous nos yeux. Et cela en comptabilisant les contrats signés depuis le 1er janvier. C’est pourtant dans la durée que doit s’inscrire toute appréciation et, comme le disait jadis Jean Pierson, qui contribua largement à donner ses lettres de noblesse à Airbus, seules comptent les livraisons.
Reste à savoir quel ton adoptera le nouveau duo Brégier-Conner. Doublement BCBG, très probablement.
Pierre Sparaco - AeroMorning
Le chroniqueur va prendre quelques jours de repos. Retour le 9 juillet.