Alors voilà, lundi dernier, avec quelques 450 autres spectateurs, j’étais dans la file d’attente pour voir « Les Enfants Loups – Ame et Yuki » de Mamoru Hosoda. J’ai trépigné en attendant que la salle ouvre ses portes, j’ai joué des coudes pour ne pas me faire doubler lorsque cette marée humaine exaltée s’est avancée et est entrée dans la salle. Je n’ai pas fait le gourmand au milieu de cette cohue générale et j’ai pris le premier fauteuil libre à peu près bien placé, car dans ces moments-là, si l’on réfléchit trop à l’emplacement idéal, non seulement on se rend compte que celui-ci n’est pas disponible, mais en plus ceux qui étaient acceptables ont entretemps été réquisitionnés. Et puis j’ai attendu. Attendu que Mamoru Hosoda arrive.
C’est étrange une telle avant-première. On devine l’exaltation que peut en tirer un cinéaste qui montre son film pour la première fois à un public, on devine la joie qu’il peut ressentir à voir une salle pleine à craquer dans un pays qui n’est pas le sien, prête à se plonger avec lui dans un long-métrage auquel il a consacré deux ans de sa vie. Il y a cette électricité dans l’air, cette excitation palpable dans les rangs. L’excitation d’être parmi les premiers au monde à découvrir ce film que nous attendons impatiemment. Si la communion entre public et réalisateur est si forte, c’est parce que Mamoru Hosoda n’est pas le premier venu. Le japonais était déjà venu à Paris il y a deux ans pour présenter son précédent film, « Summer Wars ». De mon côté si Hosoda était si important jusqu’ici, c’était surtout pour « La Traversée du Temps », un des plus beaux films d’animation qui soit. Si beau que je n’ai même pas eu à regarder une bande-annonce ou même lire un simple synopsis pour découvrir ce qu’avait à offrir « Les Enfants Loups ». J’y suis allé les yeux fermés pour qu’une fois ouverts, l’effet soit encore plus grand.
Ainsi décolle « Les Enfants Loups ». C’est dans cet exil familial que Hosoda va trouver le cadre idéal à son récit. C’est dans cet exil qu’il va trouver la force narrative. C’est là que se dessine un magnifique portrait de femme, et que le réalisateur tisse la toile des relations humaines et familiales avec une justesse admirable. Si l’on trouve à l’évidence des éléments fantastiques dans le film d’Hosoda, ils sont là pour souligner son regard sur les hommes, et par les hommes il faut surtout entendre la femme et les enfants. Il est beaucoup question de maternité dans « Les Enfants Loups », des relations parents-enfants et de la lutte permanente pour qu’un enfant puisse choisir le chemin qui semble le mieux lui correspondre. « Les enfants loups » est un film majestueux parce qu’il ne joue pas la carte de la fantaisie pour faire de la fantaisie. Celle-ci est là pour appuyer un propos absolument humain et réel sur les êtres. Il s’appuie sur le fantastique pour parler de la société telle que nous la connaissons, et c’est souvent à cela que l’on reconnaît les grands films. C’est ainsi que le récit nous emporte vers le rire, l’émotion, la réflexion, sans la moindre esbroufe, avec une justesse et un naturel exemplaires.
Pendant que les questions ont défilé pendant une quarantaine de minutes, sur le pays natal du réalisateur ou son amour pour les trains (ne cherchez pas à comprendre), je suis resté scotché à mon siège, l’esprit encore embué du spectacle ravissant auquel je venais d’assister, 1h50 durant. Je suis venu voir « Les enfants loups » pour le plaisir de voir un film d’animation japonais avant que les japonais n’en aient la possibilité. Je suis venu voir « Les Enfants Loups » parce que l’émotion laissée par « La traversée du temps » était encore intacte. Je suis venu voir « Les enfants loups », et j’en suis sorti convaincu que Mamoru Hosoda est bien un cinéaste majeur.