Euro, une affaire politique

Publié le 28 juin 2012 par Egea

Encore un sommet européen. Je n'ose dire qu'il est historique : ou alors, cela signifierait une nouvelle acception de l'histoire, une caricature de la méthode des petits pas qui est, paraît-il, dans le logiciel de la construction européenne. Car effectivement, depuis deux ans, on a vu beaucoup de gagne-petit (et de perd-gros) et pas beaucoup d'histoire. Du moins au sens mythique et plein de panache tel que nous l'aimons en France, ce moment où l'on sent le frisson épique du "Grand" moment. Le goût français pour la grandeur n'est pas européen, constatons le. Ce qui explique peut-être beaucoup des incompréhensions des uns et des autres et la lenteur des résultats. Car si les pas sont petits, la pente est aiguë et même si nos dirigeants n'aiment pas "décider", ils approchent du moment où il faut bien se résoudre à faire quelque chose. Quelque chose qui n'est pas simplement "technique" ou "économique", qui n'est pas seulement politique, mais qui est Politique.

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1/ Cela fait quelque temps que j'explique que la mutualisation de la dette entraîne un "fédéralisme" et donc une dimension politique : si on entre dans le fédéralisme, qu'on lui ajoute bancaire ou budgétaire comme épithète importe peu, puisqu'on est dans une démarche politique. Nous y voici, et le discours allemand (Kein deutsche euro ohne politische Einbindung) vient conclure ce que j'explique depuis de longs mois.

2/ Je rappelle le lien entre l'impôt et le processus démocratique qui est essentiel. Nous voici revenus aux réalités, et c'est, au fond, la grande utilité de la crise où nous sommes.

3/ Car effectivement, les théoriciens économiques ont raison : l'euro ne pouvait fonctionner puisque ce n'était pas une ZMO : une zone monétaire optimale. Ce que les économistes ne disaient pas, c'est qu'il ne s'agissait pas d'une décision "technique" et que les exemples qu'ils donnaient, et notamment l'exemple américain, sont le résultat de décisions politiques. Par exemple, l'unité américaine a été acquise au moyen d'une guerre de Sécession qui est peu représentée dans l'imaginaire militaire US, ce qui n'est d'ailleurs pas un hasard non plus.

4/ Tiens : j'ai évoqué Allemagne puis les États-Unis : comme me le répète depuis maintenant plusieurs mois l'ami Patrick, là réside peut-être l'antagonisme fondamental de cette crise. Selon cette analyse, les "pauvres" sud-européens ne seraient que les agents d'influence d'une ligne politique décidée à Washington, qui vise à "casser" l'euro pour redonner sa préséance au dollar (le benign neglect de vos cours) et donc de regagner un moyen de pression sur "le reste du monde", Chinois et pétro-monarchies mêlées.

5/ Cela étant, derrière cet antagonisme d'arrière-plan, occupons nous de nos affaires, et pensons localement (j'entends déjà Jean-Phi dire que j'ai raison : agir local pour avoir des effets globaux, voici la seule façon de faire). Ainsi donc, les gazettes vous l'expliquent à satiété, on échangerait de la croissance contre du fédéralisme . Ou plus exactement : une dose de mutualisation européenne (une sorte de "l'Allemagne paiera" qui n'est pas forcément du meilleur goût, même si l’argument a aussi des parts de vérité) contre une dose d'intégration politique.

6/ Ces notions de doses sous-entendent des pesées de milligrammes de potion, ce qu'on appelle des calculs d'apothicaires, qui nous renvoient à la petitesse politique (p minuscule) suggérée en introduction. Il reste que la "potion" ne guérit pas, et qu'il faut un effet structurant. Autrement dit, arrive un moment où l'on change vraiment de système.

7/ Laissons les solutions économiques de côté pour élaborer les réponses politiques. Un président européen ? illusoire à court terme. En revanche, renforcer les pouvoirs du parlement existant ne serait pas idiot. A une double condition, me semble-t-il :

  • d'une part, puisque l'Europe constitue une "fédération d'Etats-nations", il faut une deuxième chambre, représentant les États. Actuellement, c'est le conseil européen qui en fait office, mais sans donner satisfaction. Il faut une deuxième chambre législative, désignée par les parlements nationaux, un Bundesrat pour reprendre le modèle allemand. Au passage, cela pourrait plaire à la chancelière : n'a-t-elle pas, pour faire voter le récent mécanisme de stabilité, accepté que l’État Allemand garantisse les dettes des Länder ? (je devine qu'oodbae nous donnera des précisions utiles).
  • d'autre part, dire "chiche" à la chancelière : OK pour l'échange que vous proposez (économie contre politique), mais à condition que vous aussi vous donniez des gages politiques, et que donc vous dominiez votre cour constitutionnelle de Karlsruhe, qui sous couvert de dire le droit entrave cette construction européenne. Cela veut dire : une révision constitutionnelle de la Grundgesetz qui s'impose à la Cour !

8/ Fichtre, voici des choses qui engagent. Mais ces abandons politiques allemands sont les seuls qui permettront de vaincre la réticence française : en effet, on dit partout que c'est elle qui pose problème. Je n'en suis pas sûr, car on n'a jamais posé le problème ainsi. Le référendum constitutionnel était tellement technocratique (donc non politique) qu'il a été logiquement refusé. Ici, on irait à l'essentiel :

  • conserver l'euro, mais avec donc ce saut politique qui prend acte de la fin du modèle westphalien classique, mais en perpétuant le modèle initié à Bretton Woods, transformé par Nixon en 1973, et prolongé par l'incroyable échafaudage de dette accumulé depuis ces deux décennies de mondialisation + dérégulation
  • refuser le saut politique, mais donc abandonner l'euro, avec les énormes conséquences que cela aurait, mélange des expériences de 1922 et de 1945. Hyperinflation, tickets de rationnement, chute du standard de vie, troubles de tout ordre....

Dans les deux cas, il s'agit d'un choix, entre deux mauvaises solutions, avec des sacrifices.

Mais nous revenons à l'essence du politique. La France, nation foncièrement politique, devrait le comprendre.

Références

  • l'euro une affaire politique (8 aout 2011)
  • sur le lien entre impôt et démocratie : ce billet, celui-ci, et puis aussi ici
  • sur "l'heure de vérité" celui-là de mai 2010 !!!!

O. Kempf