Le sceptre d'Ottokar, BD d'Hergé

Publié le 28 juin 2012 par Mpbernet

Délices rituels de l’été : la relecture des albums de Tintin. Celle-ci est sa septième aventure – si on ne compte pas sa virée chez les Soviets. Elle se déroule dans un petit pays des Balkans, la Syldavie, en butte séculaire aux revendications territoriales de son voisin, la Bordurie. Tintin va déjouer la menace d’un complot qui vise à s’emparer du sceptre royal, surmonté du pélican, emblème du pays, indispensable au roi pour continuer à régner.

On a assez dit que cet album, publié en 1939, fait explicitement référence à l’annexion des territoires sudètes puis à l’Anschluss de l’Autriche par les Nazis. La mécanique du coup d’état est démontée : troubles provoqués en Syldavie par des agents secrets bordures à l’encontre de commerçants Bordures, réaction de soutien aux autochtones des troupes bordures préalablement massées à la frontière, abdication du roi privé de son symbole de souveraineté, invasion par action combinée entre l’aviation et les forces terrestres.  Le chef des conjurés ne se nomme-t-il pas Müsstler ? (un nom-valise composé de Mussolini et Hitler ?)

Tout y est donc, et pour nous encore terriblement actuel. Avec deux éléments troublants : la trahison contre le roi est partout, y compris au sein de ses plus proches collaborateurs, et un autre thème cher à Hergé : la gémellité. Les deux frères Halambique sont des vrais jumeaux que seule l’acuité visuelle et le tabagisme peuvent distinguer.

Car les guerres des Balkans ne sont pas si loin. La Syldavie, un petit pays détenant une façade maritime sur l’Adriatique, 600 000 habitants, une population multiculturelle, des armoiries représentant un oiseau aux ailes déployées (sauf qu’il s’agit d’un pélican, oiseau à connotation pacifique et non d’un aigle noir sur fond rouge doté de deux têtes) … cela ressemble beaucoup au Montenegro ou au Kosovo, face à la puissante et belliqueuse Serbie. Finalement, plus de soixante dix ans après, les querelles de frontières perdurent !

Comme des tintinophiles célèbres (Monseigneur Barbarin, l’ancien ministre Dominique Bussereau, etc …), je ne me lasse pas de relire ces ouvrages depuis ma jeunesse. J’y retrouve des détails amusants (comme la représentation d’E.P. Jacobs en rouge et Hergé lui-même en vert, dans la dernière case de la page 38), les gags indémodables des Dupondt, des poursuites sur route et dans la montagne haletantes, le rôle décisif dévolu à Milou, un suspens savamment distillé...

Pas de Capitaine Haddock ni de professeur Tournesol, mais déjà l’irrésistible Bianca Castafiore, dont c’est ici la première apparition.

Un des meilleurs albums de Tintin, ramassé, documenté, d’une logique implacable, tout à fait crédible. Du grand Hergé !