Erik Bielderman : « L’équipe de France n’a pas su se rendre aimable »

Publié le 28 juin 2012 par Delits

Délits d’Opinion : Au regard de l’Euro de football livré par les Bleus, comment l’opinion publique peut-elle réagir ?

Erik Bielderman : « Au-delà des résultats de l’équipe, cette compétition n’a fait que confirmer le désamour du public français envers son équipe. La cassure née en 2008 et qui avait fleuri en 2010 ne semble pas refermée en 2012 ; et ce malgré les efforts faits par la Fédération Français de Football (FFF) et le nouveau sélectionneur. A l’occasion de ces 4 matchs, les Français n’auront pas eu l’occasion d’aimer à nouveau cette équipe, tout simplement parce qu’elle n’a pas su se rendre aimable.

Ce nouvel épisode et cette énième désillusion nous font revisiter, sur le plan émotionnel, Knysna et 2010 avec certes moins de force mais autant de rejet, justement parce que les Français perçoivent une accumulation devenue insupportable.

En 2008, on avait pu observer un blocage net autour de la personne du sélectionneur. En 2010, la machine avait semblé se gripper autour d’un groupe même si certaines individualités avaient davantage fait parler d’elles. En 2012 c’est clairement l’émergence de faits individuels et non l’expression d’un mouvement collectif qui a provoqué cette irruption. La cristallisation autour de 3 ou 4 joueurs a fait revenir les fantômes de Knysna et avec eux réanchanter nos vieux démons.

Au final, si les contextes ont été différents à l’occasion de ces trois compétitions, les Français perçoivent ces séquences comme faisant partie d’un tout appelé équipe de France. Un tout qui n’a pas su se faire aimer alors que cela semblait être sa mission première à l’occasion de cette compétition ».

 

Délits d’Opinion : En 2010 vous évoquiez une incompréhension entre le sectionneur et les médias ; En 2012 cela semble être entre certains joueurs et les médias. Quelle autocritique peuvent faire les médias ?

Erik Bielderman : « La différence entre ces deux épisodes c’est le changement de sélectionneur et l’arrivée de Laurent Blanc ; un coach désormais ouvert au dialogue et homme de communication dont une des réussites aura été de renouer les fils du dialogue avec la presse sportive.

Ce qui est troublant sur le cas « Nasri »c’est avant tout le décalage entre des critiques faites sur son niveau de jeu et la réponse du joueur faite sur un plan personnel. Lors du début de cet Euro, il est vrai que les médias ont eu tendance à souligner son manque d’impact sur le jeu sans jamais l’attaquer sur ses choix de carrière ou sur son caractère. Ce qui a fait naitre la cassure c’est avant tout sa réaction en dehors du sujet sportif lors du premier match.

En effet, à la suite de son but, perçu par les médias comme une réponse aux critiques, il a commis l’erreur de confisquer ce bonheur collectif en se servant de ce fait de jeu pour régler ses comptes avec certains journalistes. Cette joie égocentrée est signe d’un comportement individualiste et opposé aux valeurs du collectif que l’équipe de France était censées faire naitre.

Enfin, on peut émettre l’hypothèse que cet acte a eu pour conséquences de réveiller les souvenirs de 2010, focalisant sur lui l’attention du public, du staff, du Président de la FFF, des médias et de son sélectionneur. S’en est suivi une mise sous surveillance du joueur et de l’homme. Au lendemain de cet Euro, je ne pense pas que le joueur a encore mesuré les conséquences sur l’opinion de cette errance.

Pour conclure sur cet épisode, le joueur a sans doute été victime du passé de l’équipe de France qui a pu resurgir très rapidement dans les têtes de tous les observateurs mais aussi de ses coéquipiers ».

 

Délits d’Opinion : Dans la situation actuelle, quels sont les actions et les leviers qui peuvent et doivent être actionnés pour restaurer le calme et redonner envie aux Français d’aimer leur équipe ?

Erik Bielderman : « La première étape c’est tout d’abord d’écarter les joueurs qui se sont rendus coupables d’entorses au code de bonne conduite et ceci de manière spontanée. Cette action je la juge nécessaire notamment parce que ces joueurs ont également déçus sur le plan du jeu. Ainsi, à la différence d’un bad boy comme Ibrahimovic avec la Suède, les joueurs visés ne se sont pas montrés décisifs sur le terrain ; ce qui justifie d’autant plus la possibilité de s’en séparer pour un temps plus ou moins long.

Les joueurs français qui ont dépassé les bornes ne sont pas ces « insupportables génies » que l’on ne peut écarter de l’équipe au risque de la fragiliser avec certitude. Je pense donc qu’il est nécessaire de cibler certaines individualités ; une décision qui serait, semble-t-il, plus aisé qu’en 2010 lorsque c’était tout un groupe qui avait fait grève. La perte de qualité intrinsèque au niveau du potentiel de l’équipe est un jeu qui en vaut sans doute la chandelle dans la mesure où certains joueurs doté d’un meilleur état d’esprit sont en mesure de redorer le blason tricolore.

Ce jugement est ferme mais il ne doit pas être définitif comme Ribery a pu le démontrer lors de cet Euro. Lui qui était un des trouble-fête de Knysna a su faire amende honorable pour redevenir le grand joueur qu’il est et que l’on désire aimer lorsqu’il revêt le maillot bleu.

Au final, je ne pense pas que la FFF et le football français aient besoin d’un nouveau tribunal ou d’état généraux. Il semble préférable d’établir une ligne de conduite plus ferme ce qui renforcera le besoin pour les sélectionnables de se rendre « aimable » à nouveau pour le public ; au travers de leurs performances mais surtout de leur état d’esprit ».