Com’ d’architecte : la vie idéale du grouillot numérique

Publié le 27 juin 2012 par Heilios

Au détour d’un immeuble de logements HQE flambant neufs, un type, probablement la trentaine, caricature parfaite du jeune cadre dynamique sous lexomil,  traverse la rue portable à l’oreille. Là encore, une mère de famille, le visage radieux, pas du tout surmenée par l’impatience de ses gamins qu’elle traîne à l’école, rabat la capote du landau sur la tête du petit dernier. Vous connaissez ces passants, toujours volontaires et sains : ce sont quelques représentants, souvent les mêmes, de l’insouciante population qui habite les images de synthèse des plaquettes d’archis. Des « grouillots », pour parler jargon, de la « texture humaine » diront d’autres…

Mais au fait qui sont ces gens ?

Autrement appelés scalies chez nos amis américains, allusion sémantique à l’une de leurs fonctions qui serait de donner l’échelle des bâtiments, les « grouillots » constituent également des éléments déterminants la compréhension des programmes d’architectes et des projets urbains, pour qui découvrirait les tenants de leurs destination et de leurs futurs usages.

Mais au fait, qui sont ces gens et d’où viennent-ils ? On serait bien tenté, à regarder certains de plus près, de vous répondre, d’une autre planète que la notre. Mais non, les grouillots sont tout ce qu’il y a de plus « terrestres ». Comme on trouve dans les logiciels 3D, des bases de données de véhicules, d’arbres ou encore de mobilier urbain, on trouve également des personnages tridimensionnels. Un véritable marché dans lequel certaines sociétés se sont spécialisées.

Pour 109$ américains, Falling Pixels fournit ainsi un lot de seize personnages : des hommes, des femmes, Asiatiques, Noirs ou Caucasiens dans différentes postures, mais plus ou moins tous habillés de la même manière, selon le dress code des cadres supérieurs, hipsters et autres bobos des villes.

La plupart du temps, les personnages présents dans les bases de données sont des reproductions de figurants calés dans des situations, des contextes et des scènes habituelles du quotidien. A l’inverse, ce n’est pas toujours le cas des grouillots travaillés directement en bureau d’études ou chez certains prospectivistes qui, refusant les banques de données trop formatées, photographient et « synthétisent » les silhouettes de passants anonymes.

Les grouillots, miroir d’une ville rêvée, pas très partagée

Sur les plaquettes et les illustrations des futurs projets, l’architecture 3D joue souvent sur la fibre communautaire, pour ne pas dire communautariste. A vrai dire, tout dépend de la destination et de l’usage à terme, que l’on réserve aux décors numériques, les sujets devant correspondre, dans un souci de communication, aux « conventions sociales et sociologiques » du projet : des couples de primo-accédants dans un ensemble de logements périurbains, des figures décadentes de la hipster attitude sur une requalification de friche industrielle, des nomades de l’économie globalisée dans un aéroport ou encore des enfants dans une école, etc.

La ville rêvée, celle des dessins d’archi, renvoie inexorablement et pour des raisons très terre à terre de marketing urbain, l’image d’une cité de l’entre soi, ou les codes sociaux, vestimentaires et les usages de l’espace se confondent en homogénéité ; un paradoxe lorsque l’on mesure le degré d’acharnement des collectivités et des porteurs de projets à faire passer leurs idées de mixité sociale et générationnelle pour cette ville qu’on appelle durable.

Des figurants animent le paysage d'un futur quartier

Ainsi on  trouve rarement sur ces plaquettes,  l’image du « pauvre contemporain », du smicard, de l’intérimaire, du retraité ou du passant lambda là ou pourtant, on entend créer du logement accessible à tous. Et que dire de ces évocations, trop ethniques, qui troubles l’entre soi, ou encore de la figure du « bauf » -jogging de marque, casquette et T-shirt ventre à l’air- jamais représentée et pourtant, omniprésente dans le quotidien de la ville ?

Un repère social et culturel sur des projets architecturaux qui s’uniformisent

Derrière ces écueils qui flattent la ville communautarisée au point que parfois, deux équipes d’un même concours se retrouvent avec les mêmes figurants, il y a souvent le désir de ne pas heurter, de ne pas compromettre le projet aux yeux du jury.

Parfois le grouillot signe une appartenance géographique et culturelle. C’est le cas sur certains projets d’églises, de sites religieux, ou encore d’opérations d’urbanisme et d’architecture là ou, dépendamment du pays, le vêtement fait fortement écho à un statut social. Un exemple que l’on retrouve dans le projet d’Abinal et Ropars pour l’église orthodoxe de Paris, et à l’illustration duquel, deux popes en goguette, se baladent sur son parvis.

Deux popes se promènent face au projet d'eglise orthodoxe parisienne d'Abinal et Ropars

L’habit et le personnage qui le porte devient le seul moyen alors de « relocaliser » une architecture de style international qui ne dit plus son nom, diffusée par des équipes d’architectes opérant partout dans le monde…

Mots-clés : Abinal et Ropars, Communication, Culture, dessin d'architecte, Entre-soi, figurant, grouillot, Marketing urbain, Mixité sociale, projet urbain, scalies

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