Parmi les faits, très rares, dont les prédécesseurs du gouvernement Ayrault peuvent se vanter, il en est un qui ne devrait pas passer inaperçu : avoir élevé Mikis Théodorakis au rang de commandeur de la Légion d’Honneur.
Jean-François Copé, Alain Juppé et Nathalie Kosciusko-Morizet, n’ont cependant pas hésité à son sujet, à avancer quelques contrevérités qui les rendent clairement coupables de diffamation:
- Mikis Théodorakis est antisémite
- Jean Luc Mélenchon est l’ami de Mikis Théodorakis
- Donc Jean Luc Mélenchon est antisémite
Le sophisme pourrait évidemment très facilement se retourner contre ses auteurs en changeant la seconde proposition par Jean-François Copé, Alain Juppé et Nathalie Kosciusko-Morizet ont décoré Mikis Théodorakis de la Légion d’Honneur, … donc Jean-François Copé, Alain Juppé et Nathalie Kosciusko-Morizet sont (ou décorent des) antisémites.
Autre élément de réflexion : JLM n’a jamais rencontré Mikis Théodorakis, ne serait-ce que le jour où il a reçu cette décoration, ce que l’on regrette mais que l’on ne saurait reproché au leader du FdG.
Mais la question n'est pas là et quoiqu’il en soit de cette polémique construite sans aucun égard pour les victimes juives de la Shoah, le compositeur grec leur a répondu ce qui suit :
«Je suis Grec et fier de l’être, car nous sommes le seul peuple en Europe qui, pendant l’occupation allemande (1941-1944), non seulement n’a pas exercé de poursuites contre les Juifs mais, au contraire, les a aidés à vivre et à survivre avec tous les moyens dont nous disposions.
À l’époque, J’étais moi-même partisan de l’Armée populaire de Libération et je me souviens que nous avions pris sous notre protection de nombreuses familles de Juifs Grecs, que nous nous sommes souvent battus contre les SS pour les sauver et beaucoup d’entre nous l’ont payé de leur vie.
Plus tard, j’ai composé le cycle “Mauthausen” que, notamment en Israël, l’on considère quasiment comme un hymne national. J’ai ressenti une des plus grandes émotions de ma vie quand, dans les années 80, il m’a été accordé de diriger cette œuvre sur le site du camp de concentration de Mauthausen, tout d’abord chantée en grec par sa première interprète, Maria Farantouri, puis en allemand par Gisela May et en hébreu par la chanteuse israélienne, Elinoar Moav. Je l’ai dirigée une fois encore sur ces lieux et, depuis lors, l’œuvre enregistrée est diffusée sans interruption sur le site du camp.
En 1972, j’ai bravé le boycottage européen et j’ai donné des dizaines de concerts en Israël, des moments que je qualifierais d’historiques en raison des liens d’amour mutuel qui nous unissaient.
À cette même époque, Yigal Allon, alors Vice-Premier ministre du gouvernement israélien et Ministre de l’Éducation et de la Culture, m’a confié une première mission, celle de transmettre un message de paix à Arafat au nom de son gouvernement. C’est dans cette intention que je l’ai rencontré à Beyrouth et, à cette occasion, j’ai donné une conférence de presse dans une salle. Un groupe de fanatiques Palestiniens avait décidé de m’abattre, car il me considérait comme un complice des Juifs. C’est Arafat lui-même qui me l’a dit le lendemain avec, à ses côtés… le groupe de mes assassins en puissance. Qu’est-ce qui m’a sauvé ? Mon amour authentique pour les deux peuples martyrs : les Juifs et les Palestiniens.
«Quand on t’a entendu pendant la conférence de presse», m’ont-ils dit, « on a compris que nous nous trompions». Qu’est-ce que j’avais dit au cours de la conférence de presse ? «Le conflit qui vous oppose ne sera pas résolu par les armes, mais par la compréhension mutuelle. De l’autre côté, il y a des hommes ordinaires qui vous ressemblent, simples et travailleurs, capables d’aimer et qui, comme vous, aiment leur famille et leur pays. C’est eux que vous devez trouver, parce que c’est avec eux que vous pourrez vivre dans la paix».
Arafat m’a dit : «Tu as chanté les Juifs et tu as eu raison, car eux aussi c’est un peuple tourmenté. Comme nous. Alors, s’il te plaît, écris une chanson pour nous aussi…». C’est ainsi que j’ai écrit aussi un chant pour le peuple palestinien qui est devenu son Hymne national.
Bien plus tard, à l’occasion de la remise du prix Nobel de la Paix à Rabin (Israël) et à Arafat (Palestine), l’orchestre symphonique d’Oslo avec, en soliste, l’interprète finlandaise Arja Saijonmaa a joué “Mauthausen” en hommage à Israël et le chant que j’avais composé, reconnu comme Hymne National, en l’honneur du peuple palestinien. Ce moment symbolique suffit à démontrer la place que j’occupe dans l’esprit et dans les cœurs des deux peuples.
Je suis souvent allé en Israël, en Palestine et au Liban et c’était chaque fois la paix, l’amitié, la coexistence et la coopération entre ces deux peuples martyrs qui occupaient mes pensées. En tant que Grec, je me sens proche d’eux, comme si nous appartenions à la même famille. Et pourtant, pour certains fanatiques d’un côté comme de l’autre, je suis la cape rouge agitée devant le taureau.. Pourquoi ? Parce que j’ai la franchise et le courage de dire la vérité et de la dire même dans la gueule du loup. Ainsi, quand je suis en Palestine je m’exprime ouvertement et publiquement contre les fanatiques qui me haïssent et, quand je suis en Israël, je fais de même en critiquant tout aussi ouvertement et publiquement les fanatiques qui, en raison de la diaspora juive présente dans tous les pays du monde, ont la possibilité de transformer leur haine en venin et en mensonges monstrueux.
Dans mon opéra «les Métamorphoses de Dionysos» (dont j’ai écrit aussi le livret), il y a une scène où des Juifs sont déportés par des SS dans des camps d’extermination. Il s’agit d’un moment crucial de l’œuvre, d’une condamnation du Nazisme qui dévoile d’une façon très humaine, l’affliction psychique et intellectuelle que je ressens devant les souffrances des Juifs.
D’ailleurs, la dénonciation du racisme et la défense de ses victimes ont guidé mes décisions et mes actes tout au long de ma vie. Une vie jalonnée de poursuites qui m’ont souvent poussé jusqu’au seuil de la mort.
Donc, me qualifier de raciste et d’antisémite n’est pas une simple calomnie, mais l’expression de la pire bassesse morale, issue le plus souvent de cercles proches d’organisations et d’individus opérant dans la mouvance du Néonazisme et auxquels la crise a permis de relever la tête pour nous menacer et –incroyable, mais vrai– nous accuser, eux, d’….antisémitisme en utilisant un arsenal de mensonges et de déclarations insidieuses!
Il suffit de dire, par erreur manifeste, dans une interview de trois heures «antisémite» au lieu de «antiraciste», et on s’empare d’une seule et unique phrase dont on isole un mot, brandi comme un étendard, tout simplement pour servir l’intention de m’incriminer. Combien d’années était-on aux aguets pour une simple erreur ? Le mot «antisémite» correspond-il vraiment à ce qui suit ? «J’aime le peuple juif avec lequel nous avons vécu et souffert en Grèce pendant des années et je hais l’antisémitisme». Je suppose que mes différents ennemis se sont bien gardés de citer ces paroles. Et pourtant, c’est EXACTEMENT la phrase qui suit. Ce n’est pas quelque chose que je viens d’inventer, après-coup, en guise d’alibi. Il en EST ainsi et il est facile de le prouver de façon incontestable en écoutant TOUTE la phrase, exactement comme je l’ai prononcée et non pas en la tronquant comme l’ont voulu mes adversaires.
Peut-être va-t-on se demander pourquoi et comment certains persistent à vouloir discréditer un ami si fidèle d’Israël et des Juifs et tentent de me faire passer à tout prix pour un antisémite. (De qui parle-t-on ? De quelqu’un qui a connu les sous-sols de la Gestapo pour les sauver !)…
Toutefois, la réponse est finalement simple : beaucoup de mes amis juifs sont d’accord avec moi. Certains sont d’accord avec moi,-même s’ils vivent en Israël, donc dans la tourmente quotidienne des évènements. Alors, si les simples citoyens du peuple d’Israël entendent mes idées, telles qu’elles sont réellement exprimées, ils « risqueraient » (selon mes ennemis, bien sûr) d’être d’accord avec moi, en pensant que la solution du problème ne se trouve pas dans la violence et les armes, mais dans la coexistence et la paix. Ce qui ne plaît pas du tout à mes adversaires car, bien sûr, j’ai –à plusieurs reprises– totalement désapprouvé la politique de l’État d’Israël et j’ai exprimé ce désaccord avec force et de la façon la plus claire et la plus catégorique (comme je fais toujours). Pour ne pas courir le risque que ces citoyens se rangent à mes opinions, ils ne doivent pas les entendre. Et quelle est la meilleure et la plus sûre façon de procéder pour arriver à ses fins ? Et bien, leur tactique habituelle : me coller «l’étiquette» d’antisémite, de sorte qu’aucun Juif, où qu’il se trouve, ne veuille plus entendre non seulement mes idées, mais même mon nom.
Et maintenant, particulièrement en France où brusquement on «s’est souvenu» d’une interview donnée il environ un an et demi, il existe -de toute évidence- une autre raison: porter atteinte à la Gauche. Leur prétendu «argument» (qui est totalement mensonger) est que son leader, M. Mélenchon me connaît et que, par conséquent…il a des amis antisémites ! Toutefois, la vérité –malheureusement pour eux– est évidente et je pense que tout homme animé de bonnes intentions peut s’en rendre compte.
Donc, même si après la lecture de ce qui précède, certains persistent encore à me faire passer pour quelqu’un que je n’ai jamais été et que, bien sûr, je ne suis pas, le doute n’est plus permis. Tout est fait sciemment pour servir d’autres finalités, car ma foi inébranlable dans la paix et la coexistence de ces deux peuples martyrs dérange plus d’un.»
Athènes, le 15 juin 2012
Mikis Théodorakis
mikis@mikistheodorakis.gr