Magazine Culture
Gaîté Montparnasse26, rue de la Gaîté75014 ParisTel : 01 43 22 16 18Métro : Edgar Quinet / Gaîté
Une pièce de Louis-Michel CollaMise en scène par Etienne de BalasyScénographie de Sarah BazenneryeCostumes de Pauline GallotMusique d’Hervé DevolderLumières de Romi PoonoosamyAvec Eric Laugérias (Dédé), Jean-Baptiste Martin (Vincent), Angélique Thomas ou Noémie Elbaz (Marie), Julie Victor (Liliane)
L’histoire : En ce petit matin d’août, Vincent, jeune étudiant au chômage, se pose de graves questions existentielles : pourquoi a-t-il eu l’idée saugrenue de s’improviser cambrioleur ? Et comment cette petite erreur d’appréciation a-t-elle pu déchaîner un tel déferlement de quiproquos, rebondissements, mensonges abracadabrantesques et autres improvisations hasardeuses ? Il y a des matins comme ça où il vaudrait mieux rester couché…
Mon avis : Dis-moi oui ?... Et bien oui… Je leur adresse un grand OUI aux quatre comédiens qui apportent tout leur talent et toute leur énergie pour faire vivre cette pièce et en faire un vrai divertissement. Grâce à leur générosité, à leur complicité et à leur fantaisie, on ne s’ennuie pas une seconde en dépit d’une intrigue pour le moins tirée par les cheveux. Cartésiens s’abstenir.En effet, à vouloir accumuler les quiproquos et les rebondissements à un rythme échevelé, on en perd de la rigueur et de la crédibilité. Ici, les ficelles sont grosses, énormes et l’auteur a tiré dessus jusqu’à les rendre si ténues que l’on craint qu’elles le lâchent. Or, si elles ne craquent pas, c’est parce que les comédiens s’emploient d’une façon telle qu’ils réussissent à nous captiver quand même. Tout cela, on le doit à leur jeu.
Toute l’action se déroule dans la chambre à coucher d’une jeune fille. Il fait nuit, nous sommes au mois d’août, un monte-en-l’air vêtu de noir et cagoulé fait irruption par la porte-fenêtre. Il s’est hissé jusqu’à ce sixième étage à l’aide d’une corde. On comprend vite que l’on a affaire à un amateur tant il est maladroit. Mais comme il pense que l’appartement est vide de son occupante habituelle, il n’est pas inquiété par le bruit qu’il fait. Hélas pour lui, le lit est occupé par une jeune femme qui, évidemment, est réveillée en sursaut par le boucan qu’il fait. Hélas pour lui, la jeune femme est armée. Hélas pour lui, la jeune femme est un juge. Hélas pour lui, la jeune femme est particulièrement rouée… Il va d’en suivre un jeu du chat et de la souris, chacun tentant à tour de rôle de prendre le dessus. Avec ses dialogues décalés, le début de ce bras de fer est réellement plaisant. Il y a un petit côté comédie américaine. On pense à Charade, avec Cary Grant et Audrey Hepburn. Jean-Baptiste Martin, qui joue Vincent, le cambrioleur en herbe, a le charme et l’élégance légère du premier, Julie Victor, qui campe Liliane, la juge, a la pétulance et l’esprit mutin de la seconde. Leur petite joute est très agréable à voir, du moins jusqu’à ce qu’elle commence un peu à tourner en rond par manque d’arguments.
Heureusement, l’arrivée d’Eric Laugérias va relancer la machine. Au départ, on ne sait pas trop qui il est. On pense qu’il est le mari de la jeune femme, puis celui de Marie, l’occupante officielle des lieux. Enfin, au bout d’un certain temps, on apprend qu’il est le père de Marie. La seule chose dont on soit sûr c’est que, vu le costume, il est capitaine de gendarmerie. Tout au long de cette pièce, Eric Laugérias va se livrer à un numéro de haute voltige. Est-ce dû à l’uniforme ? Toujours est-il qu’il a des mimiques et des postures qui ne vont pas sans rappeler Louis de Funès. Cette comparaison vaut compliment car il le fait avec finesse, en y mettant suffisamment de nuances et de retenue pour ne pas tomber dans la caricature. Il a hérité avec Dédé d’un personnage intéressant pour un acteur. Il est en effet la seule personne honnête de ce quatuor. Autant ses trois partenaires sont menteurs, machiavéliques, vicelards, autant il est droit dans ses rangers, rigide dans ses valeurs, naïfs dans ses sentiments. En plus, derrière le polo bleu ciel siglé Gendarmerie, bat un cœur de brave homme, un brave homme qui se bagarre avec sa déontologie de militaire. Le père est en opposition avec l’officier de police judiciaire. Il est sans cesse tiraillé entre ces deux fonctions. Honnêtement, il nous livre là une prestation irrésistible de drôlerie…
Mais, pour que ce personnage remarquablement construit fonctionne, il lui faut des comparses qui tiennent le rôle de révélateur. Et là encore, je dis « oui » au casting. J’ai déjà évoqué Jean-Baptiste Martin. Il est, contre son gré, le pivot de l’histoire. Bien que pendant les trois-quarts de la pièce, il se retrouve empêtré comme une mouche dans une toile tissée par deux araignées vénales et vénéneuses, il se refuse à jouer les victimes expiatoires. Il semble se décourager un moment, puis il réagit et se rebelle. Pour cela, il se dépense sans compter et il mouille le tee-shirt au propre comme au figuré. Il ne s’économise pas le bougre.Et puis il y a les deux jeunes femmes. Julie Victor apporte à Liliane sa réelle fantaisie, sa rousseur flamboyante, son charme coquin sans être jamais provocant, sa roublardise et aussi sa candeur. Elle veut jouer les fortes femmes, mais sa fragilité et son désarroi prennent parfois le dessus, la rendant infiniment plus humaine. En plus, elle a des trouvailles rigolotes, n’hésitant pas à sortir avec à-propos un jeu de mot visiblement non écrit par l’auteur. Sa propension à la plaisanterie ne la met en revanche jamais à l’abri d’une surprise devant les pitreries contrôlées de Laugérias… Quant à Noémie Elbaz – c’est elle qui tenait le rôle de Julie mardi soir – c’est une petite tornade pleine d’enthousiasme et de fougue. Elle non plus ne fait pas dans la demi-mesure. Elle improvise un vrai personnage de boulevard avec sa tonicité, sa folie, ses outrances. Jolie, sensuelle, espiègle et pétillante, enjôleuse avec son père, elle fait preuve d’un sacré tempérament. D’autant que, quelque part, c’est elle la manipulatrice, celle qui manigance tout. Dans un drame, elle serait haïssable. Mais dans une comédie, on accepte aisément son machiavélisme ; qui n’est en fait que le système d’auto-défense d’une biche aux abois.
Dis-moi oui ! est une pièce où domine le comique de situation. Et il y a quelques scènes qui sont absolument désopilantes. Il y en a même une, celle où les deux jeunes femmes se parlent pour la première fois, qui est assez touchante car elles se montrent enfin elles-mêmes, avec leur vulnérabilité… En conclusion, une fois que l’on a décidé de faire abstraction des énormités de l’intrigue, de l’aspect ubuesques des rebondissements et du surréalisme des ressorts, si l’on se contente uniquement de se focaliser sur le jeu des comédiens, on passe une soirée somme toute très divertissante. Un spectacle rafraîchissant pour l’été, quoi.