Oxymore mon amour ! et autres singularités

Par Savatier

Maîtriser parfaitement la langue française dans toutes ses subtilités n’a rien facile. Harmonieuse d’un point de vue phonique, comme l’attestent la poésie et la littérature, notre langue séduit aussi par sa précision ; voilà qui explique pourquoi la diplomatie y reste attachée, mais aussi pourquoi, dans le monde des affaires, les contrats rédigés en anglais font parfois l’objet d’une traduction française, lorsque le souci d’éviter les ambiguïtés prévaut.

En contrepartie, le français nous impose ses contraintes. Sa grammaire demeure complexe, parfois incohérente car assortie de nombreuses et agaçantes exceptions ; les mots eux-mêmes présentent quelques bizarreries : certains ne connaissent que le singulier quand d’autres ne s’utilisent qu’au pluriel ; d’autres changent de genre, voire de sens à l’occasion, leur orthographe frise parfois le casse-tête ; quant aux verbes plusieurs ne peuvent se conjuguer à tous les temps. Transmettre ce savoir requiert une passion de la langue, mais aussi, on l’imagine volontiers, une réelle pédagogie.

Or, cette passion et cette pédagogie traversent, de la première à la dernière page, un surprenant dictionnaire que vient de publier Jean-Loup Chiflet sous le titre, intriguant, reconnaissons-le, Oxymore mon amour ! (Chiflet & Cie, 320 pages, 24,95 €). De « A » à « Zeugme », les 300 entrées de ce «dictionnaire inattendu de la langue française» dressent la liste des principales difficultés rencontrées, abordent les subtilités de la linguistique, les caprices de la grammaire (« cette vieille dame qui a toujours ses règles », se plaît à souligner l’auteur) et livrent une foule d’informations singulières et pertinentes.

Un tel programme aurait pu tenir du pensum, mais il devient, sous la plume de Jean-Loup Chiflet, tout aussi instructif que divertissant. Car le goût de l’auteur pour l’insolite, l’humour et l’impertinence permet de surmonter tous les obstacles et de rendre intelligibles les difficultés du langage, à travers nombre d’exemples ou de citations. Et l’on se prend à rêver que cet ouvrage se substitue un jour aux austères manuels traditionnels, tant cette pédagogie se révèle d’une redoutable efficacité.

Voilà pourquoi le lettré autant que le novice prendront (ou prendra ?) plaisir à s’y plonger. En reposant ce livre, l’adynaton, la catachrèse, la didascalie, le kakenphaton, ou le palindrome auront livré leurs secrets ; il deviendra pour le lecteur évident que la caille cacabe, que la mésange zinzinule ou que le rhinocéros barète ; des mots tombés en désuétude auront refait surface (« tranchecouiller », pour « châtrer », n’est pas le moins curieux). Nous saurons ce que collectionne le macabre schoïnopentaxophile (je me rappelle avoir, il y a longtemps, amusé Jean Dutourd en le « collant » avec ce mot) et apprendrons à ne pas confondre « nique ta mère » avec « nycthémère ». Nous voyagerons encore parmi les définitions de dictionnaires loufoques, comme celui des mots retrouvés (Calviniste : coiffeur genevois) ou le Dicodingue (Carpe diem : chez les Romains, jour de l’ouverture de la pêche à la carpe). Nous saurons enfin pratiquer la langue xyloglotte pour laquelle « buccogallipyge » signifie « qui a la bouche en cul de poule » – à rapprocher du savoureux « postéropoder » de Pierre Desproges

Tout cela est drôle, enlevé, érudit, même si, par étourderie, Théophile Gautier (grand amateur de mots rares) prend, p. 180 un « h » aussi superfétatoire (en langage lacanien : « super fête à Thouars ») que l’accent aigu sur le prénom de Remy de Gourmont (p.191). Mais on pardonnera facilement ces coquilles – mot qui, soit dit en passant, privé de son « q », risquerait de se faire « tranchecouiller » – car Oxymore, mon amour ! offre un rare plaisir de lecture pour les amoureux de la langue, les curieux, les iconoclastes et tous ceux qui, à l’instar de Sacha Guitry, pensent que « ce qui ne tolère pas la plaisanterie supporte mal la réflexion).

Illustration : Exemple de postéropodage.