La création du monde 1923-2012, spectacle de danse de Faustin Linyekula
Publié le 27 juin 2012 par Onarretetout
Pour les danseurs du Ballet de Lorraine, c’est une belle expérience que de travailler avec Faustin Linyekula. Un mouvement collectif puissant, tout en tremblement, une sorte de jeu de planètes, dont aucune ne peut longtemps s’extraire sans être rattrapée par le groupe. Un homme seul reste à l’écart de tout cela, il organise, il ouvre les portes, il accroche les toiles, il ramasse une peau, des vêtements, il se déhanche dans un tout autre rythme. C’est le seul Noir sur ce plateau ; d’origine congolaise, nous dira-t-il plus tard. Pour l’instant, il prépare la présentation d’un ballet nègre, imaginé par Fernand Léger, Darius Milhaud, Blaise Cendrars et Jean Börlin en 1923 et recréé en 2001 par Millicent Hodson et Kenneth Archer. Ballet cubiste que les spectateurs applaudiront, parce que c’est une réussite d’art total où l’être humain disparaît sous les masques.
Le chorégraphe prend alors le micro et, tremblant d’un tremblement douloureux, interpelle les auteurs de ce ballet nègre où ne danse aucun Noir, où tous les corps sont dissimulés, où les peaux sont couvertes. Que dit-il ? Non pas que les créateurs de ce ballet étaient racistes, comme je l’ai entendu en sortant, mais qu’ils ont prétendu faire une œuvre « africaine » et, de ce fait, privé les Africains d’un imaginaire propre. Et qu’il faut un lent et profond travail aux Africains d’aujourd’hui pour que leur création rencontre celle de ces années-là où les Européens, marqués évidemment (c’est facile à dire a posteriori) par le colonialisme, tentaient de traduire ce que l’Afrique leur apportait.
Dans l’originalité de cette présentation (un ballet de 1923 enchâssé dans une chorégraphie de 2012), Faustin Linyekula sublime les deux approches dans un raccourci saisissant.