Le marché des convertisseurs numérique/analogique (DAC) est extrêmement prolifique depuis quelques années, et beaucoup de choses se sont passées depuis la sortie très médiatisée du DacMagic chez Cambridge en 2010 qui ouvrait la voie des DACs accessibles à tous ou presque. Si des marques plutôt confidentielles (chinoises pour la plupart) exploitaient déjà ce marché de niche avec plus ou moins de succès, le DacMagic, puis le V-Dac chez Musical Fidelity ont fait prendre conscience au grand public qu’il était possible d’optimiser de manière sensible la « chaîne » dématérialisée. D’autres marques institutionnelles ont suivis, pour arriver aujourd’hui à une offre riche et complexe, faisant le bonheur des amateurs de musique que nous sommes.
Forts de la démocratisation de ce maillon de la chaîne de restitution, devenu quasi-essentiel à toute installation un tant soit peu sérieuse, plusieurs constructeurs se sont engouffrés dans la brèche en proposant des produits situés dans un segment intermédiaire, entre les modèles d’entrées de gamme tels que le V-Dac et le DacMagic et les modèles haut de gamme à 1000€ et plus.
Appartenant à cette catégorie, et principalement connue des initiés, Schiit est une marque américaine qui revendique autant la singularité de son nom que sa philosophie perfectionniste en terme de conception. Le matériel est en effet intégralement conçu est fabriqué aux Etats-Unis (oui, vous avez bien lu), mais « à prix chinois » selon les mots mêmes de ses concepteurs, qui expliquent par ailleurs que ce prodige est rendu possible par une optimisation extrême du processus de fabrication de leur ligne de produits. Le Bifrost est donc le DAC que nous propose Schiit dans le segment consacré des produits « à moins de 500€ ».
Le fait est que l’objet est superbe et respire une qualité de fabrication à laquelle nous ne sommes plus habitués, surtout dans cette gamme de prix. Le coffrage en métal brossé est impeccable, les connectiques d’une propreté exemplaire, les vis et les jointures parfaitement ajustées… Un travail d’orfèvre, clairement. Seule la puissance de la LED, très élégante par ailleurs, m’oblige à tempérer mon propos, car elle est extrêmement perturbante lorsqu’elle est située face à l’auditeur (et ce même en plein jour). Outre cette qualité de fabrication exceptionnelle, l’autre particularité du Bifrost est son évolutivité, et c’est assez rare pour être souligné. En effet, les modules principaux (convertisseurs, entrée USB…) sont montés sous forme de cartes qu’il sera possible de remplacer individuellement lorsque d’autres versions plus performantes verront le jour. C’est un concept très intéressant qui tranche avec la politique volontairement consumériste de bon nombre de constructeurs. Le meilleur exemple étant très certainement les évolutions récentes sur la gestion des connexions USB asynchrones qui ont motivé beaucoup de mélomanes à changer leur matériel, pourtant très récent. Personne n’est à ce jour en mesure d’affirmer que cette évolutivité sera appliquée dans les faits ou non, mais l’intention est louable et nous espérons vivement qu’elle sera respectée.Sur le papier, le Bifrost à tout pour plaire :
- 3 entrées compatibles 24 bits / 192 Khz : SPDIF (Coaxial), SPDIF (Optique) et USB (optionnel)
- Composant SPDIF : Crystal Semiconductor CS8416
- Composant USB : C-Media CM6631
- Convertisseur : AKM4399 (atypique dans des appareils de cette gamme de prix)
- Sorties : RCA (single-ended) (pas de sorties XLR)
- Impédance de sortie : 10 ohms
- Plage de fréquences : 2Hz-100KHz
- Puissance de sortie max. : 2.0VRMS
- THD : > 0.008%, 20Hz-20KHz
- Rapport signal/bruit : < 105dB
A l’écoute
Concernant les différentes entrées, je n’ai détecté aucune différence entre l’entrée coaxiale (via une interface M2Tech Hiface) et l’entrée USB directe. C’est la preuve que la gestion asynchrone de cette dernière est une totale réussite, et peu de constructeurs peuvent s’en vanter à ce jour, même si les progrès sont constants. L’entrée optique en revanche m’est apparue un peu moins performante, mais rien de très dommageable en terme d’écart.
Un si beau plumage laissait présager un ramage de grande classe. La mot qui m’est immédiatement venu à l’esprit durant les premières écoutes fût : « mat ». Si toutes les électroniques sont toujours plus ou moins colorées, celle-ci m’a fait l’effet d’un verre de lunettes polarisantes. Vous savez, ces lunettes qui suppriment tous les reflets et effets de réverbération du soleil. Le Bifrost restitue un message net, clair, absolument pas physiologique, mais « mat » dans tous les registres. Il m’est difficile de dire si cela est bon ou mauvais, c’est…. mat. Pour tenter de comprendre mon propos, on peut imaginer différentes voitures de luxe aux couleurs chatoyantes, et diffusant sous l’effet du soleil des halos de lumière irisée. Chaque véhicule est esthétiquement différent, parfois un peu trop brillant ou au contraire trop peu éclairé ici ou là. Chaussez des lunettes polarisantes particulièrement efficaces capable d’anihiler tous les reflets, et vous percevrez ce dont est capable le Bifrost. Avantage : les voitures sont visibles en toutes circonstance et en faisant fi des éléments extérieurs… Inconvénient : où est le soleil ?
Nos luthiers en électroniques, en enceintes, nous gratifient de leur sensibilité au travers de leurs réalisation, que l’on est libre d’apprécier ou non. La sacro-sainte question de la fameuse « signature sonore » qui nourrit tant de passion et de controverse semble ici perdre son sens tant le message est « lavé » de toute personnalité. Vous l’aurez bien compris, je n’ai personnellement pas adhéré à cette conception, et ce d’autant moins que la scène sonore se trouve être plutôt contrainte et là encore sans relief particulier. L’abondance de micro détails n’a pas suffit à me faire oublier ce manque de vie flagrant.
Frappé par cette écoute vraiment particulière, j’ai voulu comparé avec mon DAC100 Atoll, de gamme à peu près équivalente, et réputé au contraire pour sa coloration un tantinet démonstrative par la tendance qu’il a à « projeter » les médiums de manière un peu franche. J’ai passé du temps à faire des écoutes comparatives et chaque retour à L’Atoll fût une libération musicale, même si à nouveau, je suis parfaitement conscient des travers de la marque française – qui ont toutefois le mérite de refléter « l’âme musicale » de ses concepteurs.Le Bifrost à cette capacité rare à supprimer toute brillance, toute coloration, tout relief de la musique qu’on lui confie. Impossible de dire si c’est une qualité ou un défaut, c’est un choix, que je n’assimile pourtant pas à cette notion trop souvent galvaudée de « neutralité ». Il s’agit d’autre chose, un message vraiment unique.
Ceci étant posé, voyons ce que donnent les différents registres en tant que tels. Le grave est tendu, précis, mais ne descend pas très bas, et on reste un peu sur sa faim même si c’est sans grand défaut. En comparaison, l’Atoll est moins précis mais plus généreux, c’est un épicurien vivant au côté d’un ascète. Les médiums sont très bien tenus également, parfaitement posés, sans jamais être ni ternes… ni brillants, ce sont des médiums qui portent bien leur nom. Idem pour les aiguës qui ne montent pas très haut, mais qui sont très bien maîtrisés sans jamais déborder (ai-je entendu « hélas » ?).
Il en ressort une écoute « propre », aussi peu fatigante que peu démonstrative. Le fameux « foot taping », si cher à nos amis outre-Atlantique, me semble avoir été laissé pour compte, mais après tout, ce n’est pas ce que tout le monde recherche, et certains auditeurs trouveront sans doute leur bonheur avec cette lecture très « technologique » de la musique, que l’on ne peut définitivement pas qualifier de bonne ou de mauvaise. Le seul élément vraiment contestable de mon point de vue réside dans la scène sonore vraiment contrainte, toutefois peut-être cela vient-il du reste de mon équipement ? Je me garderai donc d’être trop affirmatif.
Je me plais souvent à partager des expériences d’écoutes détaillées sur des morceaux de références, mais j’ai renoncé à cette exercice dans le cas présent, tant les caractéristiques évoquées auparavant s’y retrouvent de manière systématique et sans surprise. Chaque morceau, quelque soit le style, m’a fait vivre la même expérience.
A éviter ? Non !
Ces lignes sont susceptibles de dissuader bon nombre de lecteur de s’intéresser à ce DAC, j’en suis très conscient, mais ce serait dommage car il offre une approche tout à fait singulière et très originale en terme de restitution. Sans grand défaut de conception, doté (en option) d’une entrée USB asynchrone exemplaire, et commercialisé à un tarif très agressif, c’est un candidat à considérer si et seulement si on est amateur de son brut, strict, et que l’on porte une attention particulière sur la qualité de la sortie USB (pour un usage avec un ordinateur par exemple). Le Bifrost est le fruit d’une approche musicale qui n’est certes pas la mienne mais qui peut plaire. Toutefois, la concurrence est rude dans ce segment de prix, et l’on sera sans doute bien inspiré de regarder également du côté d’Audio-GD et de son nouveau modèle 17.2 ou de Musical Fidelity et de son remarquable M1Dac-A (asynchrone) par exemple, et qui feront tous deux l’objet d’un test par ici dans les semaines à venir.
Si vous souhaitez discuter avec nous de ce test, n’hésitez pas à nous rejoindre ici, sur le forum. Un grand merci à Audiophonics pour le prêt et à Paul pour la mise en qualité.