Est paru dans Le Devoir aujourd’hui...
« Le Québec des intellectuels français »
Louis Cornellier 23 juin 2012 Livres
Critique du livre: "Entre Québec et Canada : Le dilemme des écrivains français", Gérard Fabre, VLB , Montréal, 2012, 176 pages
Extrait de l’article de Louis Cornellier :
« Vous avez sûrement déjà fait cette expérience décevante. Un intellectuel ou un journaliste européen que vous respectez vous sert de référence en matière d’affaires internationales. Vous appréciez ses analyses qui vous semblent rigoureuses et éclairantes. Un jour, cet auteur parle du Québec, une réalité que vous connaissez bien, et dit n’importe quoi, entachant ainsi sa crédibilité à vos yeux. Vous vous dites alors, avec raison, que si les idées de cet auteur ne sont pas fiables au sujet d’une situation qui vous est familière, il est bien possible que le reste de son oeuvre ne le soit pas non plus.
Le dilemme des écrivains français, un essai du sociologue français Gérard Fabre qui esquisse « une généalogie des représentations intellectuelles du Canada et du Québec en France ».
Au Québec, nous avons été, nous le sommes encore, dominés par des intérêts économiques. À une époque, ces intérêts étaient anglo-saxons, aujourd’hui, ils sont mondiaux.
Nos revendications nationalistes (indépendantistes) sont mal vues ; elles seraient orientées vers la violence, rien de moins.
Certains nous reprochent de nous américaniser. Sans doute. Essayez de vivre en français, latinement, et culturellement de façon différente (vous êtes 7 millions de francophones) au milieu de 300 millions d’anglophones.
On nous demande d’être raisonnable, et de nous accommoder d’un Canada qui nous aimerait bien. Nous serions deux peuples fondateurs du Canada ; mais on oublie de dire que l’un de ces deux peuples domine l’autre depuis 1759, quand la France a perdu la guerre contre l’Angleterre. Et aujourd’hui, normal, le dominant ne veut pas que le dominé quitte le navire. Politiquement, le Canada est une grande fédération, et 9 provinces sur 10 sont anglophones. La « belle province », le Québec, compte pour 25 % de la population canadienne.
Jean Marie Domenach, naguère de la revue Esprit (j’aimais bien cette revue il y a 30 ans), rappelle Cornellier, se demandait bien « comment font les Canadiens français pour supporter d’être traités comme des domestiques ».
Où veux-je en venir (mon introduction est un peu éclatée) ? Cet article m'a fait penser à quelque chose d'évident que je vis très fréquemment...
...à ceci : je réside en France depuis 8 ans, je suis Québécois, et, à toutes les fois que je parle du Québec à des Français, (comme en ce moment, s’agissant du mouvement de révolte des étudiants), et cela, devant quelque groupe que ce soit, j’ai des difficultés à bien faire entendre la « vraie raison, sinon l’émotion vraie » québécoise. J’entends : chaque débat, chaque discussion, devant quel qu’auditoire (et j’ai des amis professeurs d’université, électriciens, maçons, agriculteurs, informaticiens), que ce soit, (individu, ou groupe), m’amène à « essayer de faire comprendre le Québec ». Je ne suis pas un grand intellectuel, mais j’ai été enseignant, et je sais mesurer l’écart qui nous sépare, eux et moi, relativement à la compréhension de la situation du Québec, dans le Canada, dans la Grande Amérique, dans le Monde.
Quand je lis l’article de Cornellier, et surtout quand il écrit, et je cite « Le Québec a besoin de la France comme alliée. Or les intellectuels français ont besoin des penseurs québécois pour comprendre le Québec », je me sens investi d’une mission, celle toute simple, de faire comprendre mieux aux Français le Québec d’aujourd’hui : ses aspirations – des plus simples aux plus nobles – son peuple de souche française dès l’arrivée des Cartier, Champlain, et De Maisonneuve, sa composition actuelle (40 % de parlant anglais, anglo de souche et immigrants de toutes parts, dans la seule ville de Montréal, et 99 % de parlant français dans tout le reste de la province-pays), son économie (riche de richesses naturelles incroyables, et 16 ième rang mondial pour son PNB), son histoire de pays conquis (1759), colonisé, et tentativement assimilé, son « mouvement indépendantiste », celui des 50 dernières années, depuis la fondation du RIN, ses gouvernements actuels (à Québec et à Ottawa) dominés par des partis très conservateurs, pis, d’extrême droite s’agissant du gouvernement canadien de Stephen Harper.
Pas simple de parler du Québec, surtout de son « indépendance éventuelle », devant des Français qui « doutent » de la légitimité d’un tel projet. Pourquoi doutent-ils ? Je ne sais pas, ou, je ne suis pas certain de bien comprendre. Les Français ont perdu des guerres ; mais ils n’ont jamais été colonisés. À l’inverse, ils ont « colonisé » nombre de pays : l’Afrique française, l’Indochine française, le Maghreb français... Voilà peut-être l’explication. Ils ont connu des guerres d’Indépendance (contre eux)... et, finalement, on doit bien comprendre que, dans l’âme, ils sont plutôt du côté oppresseur que du côté opprimé. Simpliste sans doute comme explication.
Mais si je reviens aux discussions que j’ai avec mes amis, je « sens » bien que je dois toujours expliquer, tenter de convaincre, et « faire vivre » ce que vit un Québécois.
Voilà, je m’arrête là.
Ha oui ! j’oubliais de dire : combien de fois j’ai lu dans la presse française des articles portant sur le Québec et qui m’avaient l’air de copies d’étudiants de secondaire 5 tant le « contenu » m’apparaissait simplistes, dérisoirement loin de la réalité, au mieux insipides. Mais le pire là-dedans, c’est que ces articles sont la plupart du temps écrits par des correspondants français qui résident au Québec, ou y viennent fréquemment. Comme de quoi, il n’est pas évident de « bien voir et de bien comprendre ».
Quid des intellectuels français depuis Voltaire et les quelques arpents de neige de la Nouvelle France? Je ne sais pas. Si peu d'intellectuels, et j’écris de mémoire, (je devrais chercher des références) ont compris le projet indépendantiste québécois.