Revue de livre, Martin
Coiteux, 16 juin 2012
Dans son livre, Un gouvernement de trop, publié aux éditions VLB, Stéphane Gobeil prétend qu’en
abolissant les très nombreux chevauchements qui existent entre Québec et
Ottawa, la souveraineté permettrait aux Québécois d'épargner près de 2 G$
annuellement.
Heureusement, il existe encore au Québec des économistes
talentueux comme Martin Coiteux qui font l’effort de dénoncer les demi-vérités
et les raccourcis utilisés par certains souverainistes pour démontrer la
rentabilité du projet d’indépendance du Québec.
Le résultat : le prétendu surplus se transforment en un gigantesque déficit.
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Le gouvernement de trop du scribe de Pauline Marois
Anciennement conseiller de Gilles Duceppe et actuellement
scribe des discours de Pauline Marois, Stéphane Gobeil a récemment publié aux
éditions VLB un livre intitulé Un
gouvernement de trop. Dans ce livre, il tente de calculer de
combien de ressources fiscales en plus ou en moins le gouvernement du Québec
disposerait si la province choisissait de quitter la fédération canadienne afin
d'opter pour l'indépendance.
Sa conclusion est la suivante: après élimination des
dédoublements et rationalisation de certaines dépenses assumées par le
gouvernement fédéral que lui, Stéphane Gobeil, juge excessives, le gouvernement
du Québec disposerait de 1,947 milliards de dollars de plus dans ses coffres
après l'indépendance. Les leaders intellectuels du mouvement
indépendantiste en sont évidemment ravis. Le fédéralisme nous coûte 2
milliards de dollars par année, affirme
du coin gauche Jean-François Lisée. Le Canada nous coûte cher, renchérit
du coin droit Mathieu Bock-Côté.
Amis indépendantistes, ne sabrez pas trop vite le champagne
car ce petit livre qui a dû néanmoins coûter beaucoup d'heures de travail à son
auteur est rempli d'approximations, de calculs douteux et d'erreurs factuelles
qui font en sorte qu'il ne convaincra que les déjà convertis pour qui les
chiffres n'ont de toute façon aucune importance. Ces convertis veulent un pays,
comme ils disent, et littéralement, ils veulent ce pays coûte que coûte.
Nul besoin d'être exhaustif pour démonter la bulle comptable
de l'auteur du gouvernement de trop. À tout seigneur tout honneur,
commençons par les fameux transferts fédéraux aux provinces. À la page
147 du livre, l'auteur écrit que le Québec a reçu en 2009-2010 pour 13,4
milliards de dollars de transferts fédéraux, incluant la péréquation bien sûr
mais aussi les autres transferts comme par exemple ceux qui touchent à la santé
et aux programmes sociaux. En réalité, ces transferts ont atteint 16,881
milliards, ainsi que l'attestent les comptes publics du Québec 2009-2010 (voir
page 29 de ce
document). L'erreur atteint donc la somme de 3,481 milliards
de dollars. Déjà, le surplus de 1,947 milliards de dollars de l'auteur vient de
se transformer en déficit de 1,534 milliards de dollars.
Ce n'est qu'un début cependant. Allons maintenant aux
pages 39 à 45 du livre dans lesquelles l'auteur nous entretient des dépenses du
ministère des affaires étrangères et du commerce international en 2009-2010.
Il y trouve un placement fait par le gouvernement fédéral dans
l'entreprise General Motors pour un montant d'environ 6,6 milliards de dollars.
Il attribue au Québec le financement de 19,5% (la part du Québec dans le
PIB canadien, semble-t-il) de cette somme, soit un montant de 1,287 milliards
de dollars. Le problème avec cette manière de faire est double. En
premier lieu, on ne peut traiter un placement donnant lieu à l'acquisition d'un
actif comme on traite une dépense courante. On peut débattre de la
pertinence de ce placement mais on ne peut l'imputer aux dépenses courantes de
l'État fédéral. Ensuite, ce placement a été exceptionnel. Il n'a
été fait ni avant l'exercice financier 2009-2010 ni n'a été répété depuis.
Il n'y a donc aucun 6,6 milliards de dollars de dépenses récurrentes dont
19,5% pourrait être épargné par l'État québécois advenant l'indépendance. Il
faut donc retrancher 1,287 milliards de dollars du surplus calculé par Stéphane
Gobeil. Nous arrivons déjà à un déficit de ressources fiscales de 2,821
milliards pour l'État québécois.
Ce n'est cependant fini. Considérons maintenant le
service de la dette fédérale. Stéphane Gobeil se donne la peine de faire la
distinction entre la part devant être attribuée aux comptes de retraite des
employés fédéraux et celle devant être attribuée au reste de la dette fédérale.
Concernant la part attribuable aux comptes de retraite, il nous dit à la
page 153 qu'il a raffiné l'analyse faite il y a quelques années par François
Legault pour arriver à un pourcentage de 19,6% qui devrait être assumé par le
Québec. Malgré cela, il utilise finalement un pourcentage de 16,3% qui
serait la moyenne de ses propres calculs, de ceux de François Legault et de
ceux de la défunte commission Bélanger-Campeau. Pourquoi utiliser une
telle moyenne s'il dit avoir lui-même «raffiné» les calculs? De toute
manière, même ce 19,6% sensé représenter la part des Québécois au sein de la
fonction publique fédérale pourrait être contesté en cas d'indépendance. Les
Québécois n'ont-ils jamais reçu de services des employés fédéraux provenant des
autres provinces? Le critère de la part de la population ne devrait-il
pas plutôt être retenu?
Quoi qu'il en soit, retenons pour l'instant le 19,6% calculé
par Stéphane Gobeil pour la part du service de la dette associé aux comptes de
retraite mais utilisons toutefois le critère de la part de la population et non
celui de la part du PIB (comme le fait Stéphane Gobeil) pour le restant de la
dette. Par rapport aux calculs de l'auteur du livre, le service de la
dette d'un Québec indépendant s'alourdit alors de 1,107 milliards de dollars.
Il faut noter en plus qu'il s'agit là d'un résultat extrêmement optimiste
et en fait très peu réaliste. Dans ce cas de figure, le Québec se
contenterait de payer les intérêts d'une part inférieure à son poids
démographique de la dette fédérale sans jamais avoir à en refinancer à ses
propres frais la part qui lui est attribuée. Or, tout refinancement se
fera aux conditions de marché s'appliquant à un État québécois nouvellement
indépendant, lourdement endetté et devant faire ses preuves dans un contexte
incertain. Il faut être bien naïf pour croire que ces conditions seraient
les mêmes que celles qui s'appliquaient avant l'indépendance du Québec à l'État
fédéral canadien. Soyons néanmoins hyper-optimistes pour les besoins de
la cause et ajoutons ce 1,107 milliards au déficit déjà calculé. Nous
atteignons maintenant 3,928 milliards de déficit de ressources fiscales pour
l'État québécois en cas d'indépendance.
Devons-nous nous arrêter là? Bien sûr que non!
Tout au long de son analyse, Stéphane Gobeil attribue au Québec le
financement de 19,5% des dépenses de programme fédérales. D'où vient ce
19,5% au juste? Selon les dernières statistique disponibles, lesquelles
remontent à l'année 2009, le Québec contribue plutôt à 18,38% des recettes
fédérales totales. Cette différence d'à peine 1,12 points de pourcentage
peut sembler minime mais appliquée à des dépenses de programme fédérales de
244,784 milliards de dollars en 2009-2010, elle représente pour le Québec une
économie en régime fédéral d'environ 2,742 milliards de dollars. Nous en
sommes maintenant rendus à un déficit de ressources fiscales de 6,67 milliards
en cas d'indépendance.
Notons que je n'ai encore rien dit des hypothèses utilisées
par Stéphane Gobeil dans sa quête d'une rationalisation des dépenses
anciennement attribuées au gouvernement fédéral après une éventuelle
indépendance du Québec. Il faudrait beaucoup, beaucoup de temps pour faire
l'analyse et la critique minutieuses de ces hypothèses. Néanmoins, prenons le
poste de la défense à titre d'exemple. À la page 73 de son livre,
l'auteur nous dit que le Québec pourra se payer une défense acceptable avec un
montant équivalent à seulement 16% des dépenses canadiennes effectuées au
chapitre de la défense en 2009-2010. Il ne fournit aucune justification à
l'appui de ce chiffre. Je note simplement que si tel était le budget de la
défense d'un Québec indépendant, celui-ci ne représenterait qu'environ 0,93% de
son PIB. Je note aussi que des pays comme la Suède, le Danemark, la
Finlande et la Norvège, des pays auxquels nous aimons tant nous comparer, y
consacrent quant à eux entre 1,3 et 1,7 % de leur PIB (voir ce
tableau comparatif). Supposons que nous devions finalement consacrer
à la défense le plus faible de ces ratios, soit 1,3% de notre PIB, il nous en
coûterait alors 1,151 milliards de plus que ce qu'estime Stéphane Gobeil.
Je ne suis pas encore au terminus comme dirait Stéphane Gobeil mais déjà,
j'en arrive à un déficit de ressources fiscales en cas d'indépendance de 7,821
milliards de dollars.
Notez bien, 7,821 milliards de déficit plutôt que 1,947 milliards
de surplus. Cela fait une différence de 9,768 milliards de dollars.
Le ministre
Clément Gignac qui a eu maille à partir cette semaine avec le scribe de Pauline
Marois parlait d'une erreur de 2 milliards. Je trouve que le
ministre a été bien gentil avec Stéphane Gobeil. Il aurait dû plutôt
parler d'une erreur de près de 10 milliards de dollars et ce, avant même de
parler de l'impact économique et fiscal des cinq
années de «turbulence» qui suivraient l'indépendance selon Pauline Marois...
Se débarrasser «du gouvernement de trop» va finalement coûter bien
plus cher que les 199,99$ par personne lancés en boutade par Jean-François
Lisée dans sa préface au livre de Stéphane Gobeil.
Voir aussi Le gouvernement de trop du scribe de Pauline Marois (Prise 2) et Les calculs de Stéphane Gobeil: Deux remarques rapides