Cette lassitude d’être soi
Cette lassitude d’être soi
à l’extrémité même de la joie
à l’envers du rêve
à la rigueur du froid d’une nouvelle
blessure
et puis soudain cela cesse d’être vrai
une jolie barque blanche se penche
l’astre s’emplit de lait
et les étoiles dansent une danse vide
à la gloire de la joie passée
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Amin Khan, Archipel Cobalt, Collection Hautes Herbes dirigée par Jean-Marie Berthier, Éditions MLD, Saint-Brieuc, mars 2010, page 33. Préface de Dominique Sorrente.
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Il y a des ruses au temps mort
Il y a des ruses au temps mort
de la poussière sur les fleurs du hasard
les masques charnels de l’endurance
des gestes gantés d’innocence
et puis soudain l’absence de raison
aux mots sans équivalence
inutiles et nus dans les plis du silence
perdus à la vérité de la transe d’amour
du poème interrompu
Il y a l’ombre du citronnier à l’abandon
et un doute sur le temps passé
au travers du regard des morts
un chemin de lumière lente au loin
irrigue la vaste plaine vide
et puis soudain le commencement de la peine
à trouver le chemin
le cœur si sombre
confusion de désir et de haine
Il y a tes yeux sombres
comme des soldats affamés
à la frontière du monde
et ta bouche qui nourrit
le fruit du reproche
et puis soudain tu donnes
sans raison à la soie muette
de ta peau sombre
la déchirure de l’illusion
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Je voulais aimer sans répit
arracher
à la peau même de son visage
le masque de la vie
•
Je ne suis pas un poète
mais un homme fatal
j’ai connu d’autres muses
d’autres chagrins
d’autres tables nocturnes
mouillées de la rosée du matin
d’autres hantises
d’autres pertes
d’autres ivresses
d’autres absences
loin de l’amour principal
j’entretiens une tribu
de rêves et de ressentiments
des femmes dormantes
dans des postures inouies
chacune a son charme
sa saison et sa nuit
je suis tribal et juste
vivant de rien
de riens hétéroclites
d’un vieux stock
le stock de l’amour immobile
je suis une sorte de gardien
de cette sorte qui ne peut rien
emporter dans sa fuite
•
J’oublie les visages
je ne me souviens pas des noms
j’endure
des odeurs et des gestes
des parfums
l’émail de certaines morsures
la vision de certains sangs
des courbes des accidents
des silences profonds
de longues heures et des jours
certains mots les mêmes
des lèvres
de roses luisants
dans la même lumière
du même regard
plein de douceur et d’amertume
•
Que voulais-tu de moi
en regardant tes chevilles
en buvant ton thé
en écoutant les bruits
dans le ciel
du tonnerre lointain
en soulignant tes paupières mauves
de tes doigts d’os et de feu
en ajustant ta jupe
à tes genoux silencieux
en allumant ta cigarette
de tabac délicieux
en jetant sur moi
la lumière de tes yeux
•
Des rites des sens aiguisés
des listes de noms des armes
des pensées jamais éprouvées
le souvenir et l’espoir
de jolies larmes
d’autres étés
dans une ville parmi les autres
et de toute façon
l’amour qui vous accompagne
AMIN KHAN (Poèmes d’août)
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Ô sang gourmand
tu parles comme un ruisseau
où les amies se morfondent
et grattent leurs mandolines
où les oiseaux fondent
dans un ciel d’enclume
où les gorges se font soudain
douces et mesquines
*
Ma part de trouble
est celle d’un autre
veinée d’or et d’acier
elle se tient au bord
de mon corps chevauché
à l’os du chagrin
elle est arabe et indienne
elle implore et ignore
alors qu’elle est mienne
Amin Khan, extrait de Arabian Blues, MLD, 2012
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Il y a ce temps gagné
de fièvre longue et d’odeurs animales
et cette immense gorge qui râle de désir
absolu
et ces soldats perdus
aux yeux fardés de noir
et puis soudain ce jour pâle
vide de sens
et cette plaine blanche qui lève
à l’horizon perdu
[...]
Vanité
de l’aube grise
qui laisse boire encore
le drap rouge d’un homme sans nom
et la lumière incertaine
de la chair ouverte de l’ennemi
et puis soudain le silence argenté
des doigts endeuillés
dénouant la soie salie
du foyer piétiné dans la nuit
Amin Khan, extrait de Archipel Cobalt, MLD, 2010