Les pays émergents du BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) sont en train de rejoindre l’Occident dans la crise. La théorie, jusque-là très en vogue, du « découplage » entre Occident et BRIC (celui-ci étant censé remplacer celui-là comme locomotive de l’économie mondiale) montre son inanité.
Espagne : un tournant pour la « Vieille Europe »
L’Europe s’enfonce dans la crise. Comme je l’explique dans mon dernier ouvrage, « De la crise à la guerre, la faillite des élites » (éditions Jean-Cyrille Godefroy), le point de non retour de la crise systémique a été dépassé : arrivant beaucoup trop tard, l’austérité ne fait qu’accélérer la chute.
Les remises de dettes et injections de liquidité accordées à la Grèce ne l’empêchent pas d’asphyxier sous les plans d’austérité qui en sont la contrepartie. Son PIB a diminué de 6,9% en 2011. Ce sera pire en 2012 (sa cinquième année de récession), vu la baisse des salaires, la paralysie de la consommation, la crise politique…
L’Europe arrive à un tournant, avec l’entrée en récession de sa quatrième économie, l’Espagne : un chômage à 24,4% ; une consommation mourante ; un système bancaire ruiné par l’éclatement de la bulle immobilière. L’Espagne emprunte à des taux d’intérêt de plus en plus élevés (plus de 6% pour les emprunts à 5 ans). L’Eurogroupe consent aux banques espagnoles une aide jusqu’à 100 milliards d’euros, lesquels pèseront sur l’endettement des pays bailleurs de fonds…
La crise s’étend : le Portugal va mal, l’Italie aussi. La France est menacée. L’Eurogroupe, c’est-à-dire in fine l’Allemagne, ne pourra pas renflouer tous ces pays. Une Allemagne qui, elle-même, commence à faiblir à cause de l’affaissement de la demande européenne, qui draine 60% de ses exportations : la production industrielle allemande a reculé de 2,2% en avril. Le baromètre du centre de recherche ZEW indique que le moral des investisseurs a plongé en juin, à -16,9 points, contre 10,8 points en mai.
Économies anglo-saxonnes en crise
Le Royaume-Uni est un cas exemplaire. Étant hors de la zone euro, il ne subit pas le handicap d’une monnaie trop forte : il a laissé filer la livre sterling pour stimuler ses exportations. Et il s’est tourné vers une politique d’austérité draconienne. Cet arsenal ne l’a pas empêché d’entrer en récession à son tour : croissance négative de 0,3% au dernier trimestre 2011 et de 0,2% au premier trimestre 2012. Gageons que le deuxième trimestre sera du même tonneau. Fin 2009, il était sorti de cinq trimestres consécutifs de récession. Il est en pleine rechute…
Les États-Unis emboîtent le pas au Royaume-Uni vers le précipice. Le chômage tend à remonter. En avril, les commandes de biens durables ont augmenté de seulement 0,2% en avril, bien moins que prévu. L’indice de confiance des consommateurs publié par l’université du Michigan montre une démoralisation des ménages : après s’être hissé en mai à son plus haut niveau depuis 2007 (9 mois consécutifs de hausse), cet indice a reculé de 5,2 points à 74,1, alors que les analystes prévoyaient 77. La dette publique américaine dépasse 15 000 milliards de dollars, le déficit, 1000 milliards. Il faut presque 3 dollars supplémentaires d’endettement pour générer un dollar de croissance.
Jeffrey Lacker, l’un des dirigeants de la Réserve fédérale, la banque centrale américaine, a annoncé publiquement son désaccord avec les dernières mesures de relance prises par cette institution : « Les perspectives de croissance économique se sont à l’évidence détériorées depuis quelques semaines, mais on voit bien que la politique monétaire n’a pas la capacité de compenser les effets des facteurs qui entravent la croissance ». Les injections de liquidités ne redynamisent plus l’économie américaine, elles ne font que stimuler les bulles spéculatives.
Le BRIC plombé par le marasme occidental
Les pays du BRIC, fortement exportateurs, subissent le contrecoup de la diminution de la demande occidentale. À commencer par la Chine, dont les exportations s’effondrent. Le produit intérieur brut (PIB) n’a progressé que de 8,1% au premier trimestre, son niveau le plus bas depuis près de trois ans. Sa croissance annuelle qui, depuis 30 ans, caracolait à 10%, est annoncée à 8,2% pour 2012 par la Banque mondiale. Au-dessous de 8%, pourraient se déclencher de graves troubles sociaux. L’indice PMI des directeurs d’achat publié par la Fédération chinoise de la logistique et des achats (CFLP) était de 50,4 en mai, 3 points de moins qu’en avril. C’est un recul brutal. Or le secteur manufacturier représente près de 30% du PIB. Cela annonce un coût d’arrêt de l’économie chinoise. C’est pourquoi, pour la première fois depuis fin 2008, Pékin diminue ses taux d’intérêt pour relancer l’économie. Mais l’immense bulle immobilière chinoise menace d’éclater, ce qui désintégrerait un système bancaire farci de créances douteuses. La Chine s’achemine vers un collapsus économique.
L’Inde suit le même chemin que la Chine. Alors qu’elle avait depuis plusieurs années une croissance à 9%, elle n’a progressé que de 5,3 % au premier trimestre 2012 (son plus faible score trimestriel depuis 2002-2003), quand les analystes prévoyaient 6,1 %. Sur la même période, son secteur industriel s’est contracté de 0,3 %.
Même itinéraire pour le Brésil : il tempère sa prévision de croissance à 4,5% pour 2012, et vitupère contre les Européens et les Américains qui « dévaluent ». L’inquiétude le gagne…
La Russie profite de sa rente pétrolière. Mais la diminution du cours du baril (le brut tourne autour de 80 dollars) menace son économie, très dépendante de ses exportations d’hydrocarbures parce que faiblement diversifiée. Elle considère avec angoisse l’essor de l’exploitation du gaz de schiste aux États-Unis.