Elle l'est toujours.
Quand nous étions jeunes, 1977, 1978, 1979, 1980, mes deux parents, enseignants, ramassaient les trois enfants et nous quittions toujours le permier mois d'été en camping. Il y avait forcément toujours quelqu'un qui avait sa radio ouverte en permanence sur un match de baseball des expos de Montréal. La route sonore s'annonçait par un faux-silence: un bruit de foule qui murmure attendant l'action. Car au baseball, l'action est lente. Le commentateur peut se permettre de longue pause sans raconter quoi que ce soit. Puis on entendait cette voix suave qui venait nous situer dans l'espace:
" 3 et 1, deux retraits, 6ème manche, l'offrande de Donnie Moore à Valentine..."
Trame sonore de mes étés, la voix de Jacques Doucet était la voix du chauffeur de train de 1976 à 1984. Quand nous ne l'écoutions plus dans le camping, on l'écoutait dans la voiture. Le soir quand on se couchait, on entendait quelques fois de la tente un match tardif à Houston, San Francisco ou San Diego. C'était la musique de la mer qui nous endormait, c'était la voix de Jacques Doucet.
"L'américanité en beau français" disait de lui Serge Bouchard, un autre qui a la voix qui ne fléchit pas.
Puis, comme si une équipe canadienne n'avait pas le droit d'être aussi forte dans le sport national des ricains, 1994, avec une équipe comme on en verra plus. Les Expos avaient gagnés 20 de leurs 23 derniers matchs, ils étaient non seulement les meilleurs de la ligue nationale mais aussi les meilleurs de tout le baseball. Tom Glavine, au sommet de son art comme lanceur des Braves d'Atlanta, qui disait qu'il ne voyait pas comment Montréal, qui non seulement ne cessait pas de gagner mais qui s'améliorait de matchs en matchs, pourrait ne pas rafler les grands honneurs. 1994 et une grève qui a assassiné le sport à Montréal à jamais.
Nous avions l'impression d'être dans la confidence d'un secret, un secret si important qu'il a respecté la logique des secrets, il s'est éteint tout seul. Le club a disparu.
La voix de Jacques Doucet est devenue plus confidentielle à Québec commentant les matchs des Capitales. Après 36 ans à être la voix des Expos. Si j'habitais encore à Québec, j'écouterais peut-être les matchs juste pour entendre sa voix à nouveau. Je me prépare à un autre été sans la voix de Jacques Doucet car j'habite Montréal.
Les gens du temple de la renommée du baseball sont beaucoup trop médiocres, assurément incultes, pour savoir que Jacques Doucet a sa place au temple de la renommée des artisans du baseball.
Mais nous, nous savons.
Nous sommes dans le secret.
Chuuuuuut...
*Rollie Fingers, un excellent lanceur, avait en revanche tout à fait le nom de l'emploi.