C’est via le blog de Leiloona, que j’ai découvert cet atelier d’écriture “Une photo, quelques mots”. Le principe est simple, chaque mardi elle publie une photo et à partir de là il faut rédiger un texte s’en inspirant. Pas de genre ou de ton imposés. Il suffit de se laisser guider par ce que la photo fait ressortir en nous.
Pour la toute première fois, ses lèvres effleuraient celles d’un garçon et Stacy ferma ses yeux.
Au lieu de se laisser porter par cet instant unique, où ils semblaient seuls au monde, elle vit apparaître devant elle le visage de sa soeur.
Mary avait toujours été la plus forte des deux. Elle était pleine de vie, semblait n’avoir peur de rien et faisait la fierté de leurs parents en toute occasion. Elle était l’aînée et tenait ce rôle à la perfection. Un peu trop même au goût de Stacy qui avait la sensation qu’elle ne pourrait jamais lui arriver à la cheville ou être considéré autrement que comme le bébé de la famille.
Quand le visage de Mary prit forme dans son esprit, il était associé à cette simple visite de contrôle chez le médecin avant la rentrée scolaire. Mary comme à son habitude avait passé les “tests” avec brio et s’apprêtait à rentrer en 6ème avec 10cm de plus, ce qui accentuait encore sa stature de grande soeur. Stacy, quant à elle, devait faire face à une nouvelle déception. Elle portait depuis toujours des lunettes et à présent, il semblait que sa langue et son palais n’étaient plus très amis ce qui impliquait des séances chez l’orthophoniste pour lui éviter des problèmes d’élocutions.
Elle n’osait pas affronter le regard de ses parents. A travers leurs yeux, elle avait toujours la sensation d’être une chose fragile, un poids, même parfois, dont ils se passeraient bien. Mary quant à elle ne bougeait pas de son piédestal.
Par moment, Stacy détestait sa soeur. Ce sentiment était encore plus fort quand Mary refusait de jouer avec elle et l’appelait “petite taupe”. Surnom que sa famille avait trouvé en pensant la décomplexer au sujet de ses lunettes.
Le dernier après-midi de ce fameux été, leurs parents les avaient emmenés dans la forêt avec le chiot que Mary venait d’avoir pour son anniversaire. Un petit labrador beige, joueur et câlin, que Stacy adorait caresser en douce, car tout ce qui était à sa soeur lui était interdit d’accès. Sans oublier que sa mère redoutait qu’elle se fasse mordre ou déclenche une allergie aux poils de chien en se frottant trop à lui…
D’autres familles étaient présentes et c’était l’occasion pour les fillettes de renouer avec certains de leurs camarades avant la rentrée. Tandis que les parents papotaient installés autour des tables de pic-nic, les enfants couraient et s’éloignaient petit à petit de leur zone de surveillance. Ils connaissaient cependant tous la règle : Interdiction de descendre la côte menant à une zone de la forêt moins bien fréquentée.
Si les enfants respectaient leur décision, ils avaient oublié qu’un jeune labrador fougueux n’en avait que faire. Poursuivie par toutes la bande d’enfants, il se mit à courir en direction de la pente et ne s’arrêta pas malgré les ordres de sa jeune maîtresse.
La bande s’arrêta brusquement à la limite de la zone autorisée regardant le chiot les appeler en jappant joyeusement en contrebas.
Les appels pour le faire revenir à leurs côtés restèrent sans retour. C’est à ce moment, qu’ils aperçurent dans l’ombre plusieurs adultes approcher du chiot. Ils étaient accompagnés eux-mêmes par des molosses inquiétants. Mary se retourna vers sa soeur et les autres en leur ordonnant de ne pas bouger, puis descendit prudemment la pente.
Alors que certains observaient Mary avec fierté, Stacy gardait ses yeux fixés sur la scène qui se passait plus bas. Le chiot semblait terrorisé et avait cesser de japper pour se mettre en boule et ne plus bouger, alors qu’autour de lui les molosses se faisaient de plus en plus pressants. Elle ne comprit pas les mots prononcés par certains des hommes. Quand elle les vit lâcher les laisses en métal de leurs monstres canins alors que sa soeur s’approchait enfin de leur petite boule de poil, le battement de son coeur s’intensifia comme si ce-dernier souhaitait sortir de sa poitrine.
La suite n’était plus qu’un amoncellement de flashs et de cris. Elle avait sentit ses amis la bousculer en prenant la fuite pour aller chercher leurs parents. Elle avait vu ce chien énorme sauter sur sa soeur alors qu’elle venait de prendre dans ses bras son chiot pour le rassurer. Elle entendait ses cris de terreurs mêlé à ceux complètement fous des hommes en bas. Elle avait vu le sang de sa soeur se mêler à celui de son labrador. Elle avait entendu la voix des parents paniqués criant, mais encore trop loin pour savoir ce qu’il se passait réellement. Elle avait entendu les sifflements des hommes rappelant leurs animaux à leurs pieds et lâchant leurs proies dans la seconde. Elle avait vu l’un d’entre eux la regarder, du sang recouvrant sa gueule. Elle sentait les larmes couler le long de son visage tandis que son père la secouait en lui demandant où était sa soeur. Elle ne pouvait que tendre le doigt dans la direction des deux corps inertes. Elle entendait son père hurler en descendant la pente pour rejoindre l’enfant qu’il venait de perdre.
Stacy essuya les larmes sur son visage car elle savait qu’à présent elle devrait être encore plus forte que Mary ne le serait jamais.
Les yeux toujours fermés, elle sentit une larme glisser le long de sa joue. Le visage de sa soeur lui souriait en constatant que la “petite taupe” était devenue cette jeune femme magnifique, forte et indépendante, qui recevait aujourd’hui son premier véritable baiser. Baiser que Mary n’aura jamais connu. Tout en pensant à sa soeur, Stacy resserra son étreinte et s’abandonna enfin en embrassant son premier amour pour elles deux.
Pour la toute première fois, elle sentait que Mary aurait été fière d’être sa grande soeur.