La crise de la dette européenne a une raison beaucoup plus fondamentale que l’euro ou la crise financière : l’immense escroquerie intergénérationnelle que constitue le déficit public.
Par Acrithène.
Les racines de la crise de la dette publique européenne ne se trouvent ni dans la crise des subprimes ni dans la construction de l’union politique ou monétaire. La première l’a précipitée en creusant brutalement les déficits publics tandis que la seconde l’a peut-être aggravée en facilitant l’endettement de certains États.
La crise se fonde cependant sur une escroquerie intergénérationnelle dont les pleurs ne pouvaient être différés qu’au prix d’une forte et perpétuelle croissance des ressources fiscales. Le déclin démographique et la croissance économique modérée sonnent le glas d’une immense chaîne de Ponzi commencée il y a 50 ans et nous condamnent à enfin payer les dépenses de nos grands-parents. Explications…
La chaîne de Ponzi
Une chaîne de Ponzi est une escroquerie financière consistant à rémunérer d’anciens investisseurs avec les dépôts des nouveaux.
Imaginons que je sois un banquier vous offrant un rendement de 10%. Vous pensez que je vais placer votre argent de sorte qu’il fasse des petits et que je puisse vous le rendre augmenté des intérêts. Une performance qui m’attirera de nouveaux clients.
Une chaîne de Ponzi consiste à inverser cette logique. Ce n’est plus la bonne gestion qui apporte de nouveaux déposants, mais ces derniers qui permettent de simuler la bonne gestion.
- Dans un premier temps, vous me confiez 100€, que je me mets joyeusement dans les poches pour mon propre compte.
- Dans un second temps, je fais savoir que j’ai effectivement réussi à dégager le rendement annoncé. Un mensonge ! Cela contribue à ma réputation de bon gestionnaire et m’attire de nouveaux clients, et donc de nouveaux dépôts, disons de 200€. De ces 200€, j’en détourne 90€ et je vous rends les 110€ promis initialement, apportant une « preuve » de mes mensonges.
Astucieux mais dangereux. Contrairement au gangster, l’adepte de Ponzi ne peut « raccrocher ». Ne pas perpétuer sa chaîne, c’est renoncer au rendement qui fait sa réputation et provoquer la fuite de sa clientèle. En partant, elle réclamera sa mise initiale, dont l’escroc dispose dans son coffre, mais aussi le cumul des rendements, qui lui n’est qu’une manipulation comptable. Incapable de payer, le discipline de Ponzi finit alors en prison.
Les deux chaînes de Ponzi les plus connues sont celles de Bernard Madoff et le système de retraite par répartition. Mais la dette publique en est aussi une…
Quand Madoff gouverne
La morale mise à part, pour qu’un investisseur place sciemment son argent dans une chaîne de Ponzi, il faut qu’il puisse espérer sortir de la chaîne avec ses bénéfices fictifs avant ses condisciples. Ceci n’est plausible que si l’arnaque n’est connue que d’un nombre très restreint de clients, car le ponziste ne peut rembourser qu’une fraction de sa clientèle.
Donc une chaîne de Ponzi s’écroule dès lors qu’elle n’est plus dissimulée. À moins que…
Imaginons que Madoff soit capable de garantir aux investisseurs qu’il restera toujours des pigeons derrière eux, c’est-à-dire qu’il est capable de contraindre des gens de payer en dernier recours leur dû aux investisseurs. Vous me demanderez comment cela se pourrait-il ? Imaginez que Madoff soit chef de gouvernement et que les pigeons soient de futurs contribuables, pas encore nés ou en âge de voter, ou trop insouciants pour se défendre…
Prenons désormais comme période de référence une génération humaine. D’une période à l’autre, la population active meurt et la population juvénile devient active.
- Une première génération initie la chaîne de Ponzi en contractant une dette publique qui devra être remboursée par ses enfants. Ces derniers, par l’artifice de la continuité de l’État, acquiescent sans même pouvoir se prononcer. La génération initiatrice profite donc d’une « dépense publique gratuite », c’est-à-dire non financée par l’impôt.
- La seconde génération doit rembourser cet emprunt lorsqu’il arrive à échéance. Heureusement, la fécondité et l’immigration l’ont rendue plus nombreuse, tandis qu’elle a gagné en productivité. En plus est-elle mieux éduquée à ses devoirs fiscaux que ses aïeux. Cette amélioration convainc les marchés qu’elle puisse emprunter davantage que ne l’avait fait ses parents. Cette faveur permet à nouveau de réaliser des dépenses publiques « gratuites ».
Ainsi non seulement notre seconde génération est-elle parvenue à sauver les plumes que ses parents avaient promis au marché pour leur confort égoïste, mais en plus a-t-elle pu reproduire l’astuce de ses parents et bénéficié à son tour de dépenses « gratuites ».
L’immortalité de l’État laisserait alors entrevoir la possibilité d’une chaîne éternelle où chaque pigeon sauverait ses plumes en hypothéquant un plus grand nombre de celles de ses pigeonneaux, mais où personne ne serait finalement jamais plumé.
La situation de l’Europe
Un pigeon ne convaincra jamais un requin de l’épargner en échange de ses petits si ceux-ci sont peu nombreux ou rachitiques.
La chaîne de Ponzi ne peut s’éterniser que si des investisseurs acceptent de prêter toujours davantage. La condition de cette dette grandissante est que la ressource fiscale de l’État croisse elle aussi rapidement. C’est pour cela qu’on rapporte d’ailleurs la dette publique au PIB.
Or comme je tente de le montrer dans un autre billet, la chaîne publique de Ponzi a été initiée durant les Trente Glorieuses, période de forte croissance économique et démographique, et durant laquelle la relative faiblesse de l’impôt laissait place à un alourdissement fiscal. Une situation idéale, bien différente de nos perspectives actuelles.
Croissance économique
Les trois décennies suivant la Seconde Guerre mondiale sont souvent perçues comme un âge d’or à reproduire. C’est négliger la différence entre innovation et imitation. Dévastée, l’Europe disposait d’un niveau d’éducation et d’institutions politiques semblables à ceux des États-Unis, mais était économiquement totalement distancée. La croissance des Trente Glorieuses n’est que le rattrapage par imitation des États-Unis, pour l’essentiel achevé. La convergence des productivités du travail l’atteste.
La référence aux Trente Glorieuses comme un idéal économique à atteindre tient donc du charlatanisme, aucun pays en pointe n’ayant dans l’histoire jamais atteint de tels taux de croissance. À titre historique, la grande Révolution Industrielle britannique correspond à un taux de croissance annuel de 1,2%.
Contrairement à ce qui a été fait jusqu’à aujourd’hui, il est nécessaire d’acter qu’une croissance de long terme de 2% est déjà un objectif ambitieux.
Croissance démographique
Loin de s’accroître, la population active européenne décroît, et ce malgré l’importance de l’immigration.
Pression fiscale
Bien qu’on n’ait rarement autant dénoncé la domination de l’ « ultralibéralisme », l’Étatisme et la fiscalité n’ont jamais été aussi écrasants en Europe. Cela laisse peu de marge de progression, sauf à étouffer l’économie.
Le boulet de la chaîne
L’ensemble des critères de viabilité d’une chaîne de Ponzi étatique semble clairement dans le rouge. Cela se répercute directement sur la volonté des investisseurs de bien vouloir se joindre gaiement à la chaîne. Ou simplement d’y rester, vu qu’à la différence de l’essentiel des contribuables, les investisseurs peuvent s’en détacher.
Le schéma suivant illustre le passage à la première génération pour laquelle l’accroissement de la dette n’est plus possible. Comme elle ne peut emprunter que le même montant que la génération précédente, elle ne peut profiter d’une dépense gratuite comme ses parents. Mais en plus doit-elle payer les intérêts de la dette, consacrant donc une partie de son travail à rembourser des dépenses dont ont profité ses grands-parents quand elle n’était pas encore de ce monde.
Notons que dans le schéma je néglige quelques aspects aggravant de la fin de chaîne. En effet, si l’essentiel de l’économie est enchaînée, certaines de ses composantes, comme le capital et les élites économiques, risquent en revanche de prendre leurs jambes à leur cou.
Finalement, la crise de la dette européenne a des raisons beaucoup plus fondamentales que l’euro ou la crise financière. La crise financière l’a probablement rapproché d’une décennie, tandis que l’euro a pu permettre à certains pays de s’endetter plus aisément (je prenais l’exemple grec dans un autre billet).
Les raisons fondamentales sont à trouver dans la démographie et l’immense escroquerie intergénérationnelle que constitue le déficit public. Le financement à crédit du report du départ à la retraite constitue le paroxysme de cet héritage à l’envers.
Évidemment, pour un gouvernement, mettre fin à la chaîne est aussi douloureux que pour l’escroc. Comment annoncer aux électeurs cette terrible nouvelle ? « Cesser de consommer sans payer » suffit à précipiter l’ire de la rue, comment lui faire avaler que nous devrons désormais « payer sans consommer » ?
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