Armand (Denis Podalydès) est en train de répéter un tour de magie quand son téléphone sonne. Sa tête, enfermée dans une boîte transpercée de sabres, semble avoir disparu, mais on entend encore sa voix. Ca tombe bien, c’est justement d’une autre disparition que veut lui parler son interlocuteur, celle de sa grand-mère paternelle, qui vient de décéder. Une disparition, mais aussi une brusque réapparition, car à vrai dire, Armand avait un peu oublié la vieille femme, qui finissait ses jours dans une maison de retraite à la campagne. Il était sans doute trop occupé par sa vie professionnelle, trop préoccupé par sa vie personnelle mouvementée… Ou alors trop égocentrique…
Et hop, voilà que la grande faucheuse vient lui rafraîchir la mémoire et rajouter à ses petits problèmes personnels. En effet, son père perdant un peu la boule, c’est à Armand qu’incombe la responsabilité d’organiser les funérailles de son aïeule.
Un vrai parcours du combattant…
Il faut déjà trouver une entreprise de pompes funèbres capable de s’occuper efficacement des obsèques sans pour autant grever le budget familial. de façon efficace. Pas simple de s’y retrouver parmi toutes les sociétés existantes, toutes les formules existantes.
La belle-mère d’Armand (Catherine Hiegel) le pousse à faire appel à la société “Définitif”, une entreprise mortuaire chic, design et high-tech gérée par l’agaçant Charles Rovier-Boubet (Michel Vuillermoz). Mais il ne trouve pas vraiment son bonheur parmi les sarcophages lumineux, les cercueils luxueux et autres formules funèbrement pompeuses, surtout à des prix aussi scandaleusement élevés. Certes la belle-mère en question a promis qu’elle financerait les obsèques, mais en partie seulement, et de toute façon, Armand ne veut rien devoir à cette mégère qui le déteste – et à qui il le rend bien…
Il jette donc son dévolu sur Obsecool – “Des funérailles à organiser? Hop, c’est cool avec Obsecool…”- qui propose des tarifs moins coûteux. Bon évidemment, à ce prix-là, la qualité de service est plus aléatoire. Les croque-morts, Yvon (Bruno Podalydès) et Haroun (Samir Guesmi) ont l’air plus chaleureux que Rovier-Boubet, mais semblent aussi moins rigoureux. On ne peut pas tout avoir…
Cela dit, ce sont quand même des pros qui connaissent leur affaire : hommes, femmes, enfants, animaux, ils peuvent organiser les obsèques en toutes circonstances – et en toute décontraction, selon les choix du client.
Car oui, organiser des funérailles, c’est faire des choix, plein de choix : choix du cercueil, choix des poignées du cercueil, choix du cimetière, choix de la musique pendant une éventuelle cérémonie,… Sans oublier le choix principal : inhumation ou crémation? Quelles étaient les volontés de la défunte en la matière?
Armand n’en sait rien… Il doit aller récupérer les effets personnels de la vieille femme pour vérifier si elle n’a pas laissé de note avec ses dernières volontés. Sinon, c’est lui qui devra trancher cette question.
On ne peut pas dire que la perspective l’enchante… Et pour cause! Armand déteste choisir. Or, en ce moment, il doit justement effectuer de nombreux choix importants pour son avenir. En premier lieu, il doit choisir entre Hélène (Isabelle Candelier), sa femme, avec qui il partage également son activité professionnelle – pharmacien dans une officine de banlieue parisienne - et Alix (Valérie Lemercier), sa maîtresse, qui le presse de divorcer et de venir s’installer chez elle. La décision est d’autant plus compliquée à prendre que son épouse, au courant de sa liaison, accepte la situation, se montre compréhensive et reste égale à elle-même, douce, agréable, aimante. Et que dans le même temps, sa maîtresse montre les facettes les plus volcaniques de sa personnalité, notamment au cours d’une courte scène de ménage dans un cimetière…
Forcément, ça fait gamberger au moment du grand saut vers l’inconnu…
Ensuite, Armand doit choisir ce qu’il va faire du reste de sa vie. Quitter Hélène, cela veut également dire abandonner son poste à la pharmacie. Comment rebondir? Habitué à diriger sa propre officine, Armand pourra-t-il accepter de travailler au service d’un confrère? Et s’il plaquait tout pour devenir… magicien? La question se pose avec d’autant plus d’acuité qu’il se souvient peu à peu que sa grand-mère était probablement à l’origine de sa passion pour la magie. Son décès le pousse à s’interroger sur ses rêves d’enfant et ce qu’ils sont devenus…
Sous ses airs de comédie burlesque poétique et gentiment décalée, Bruno Podalydès tisse une jolie étude de moeurs autour d’un thème principal, la disparition, et de quelques sujets annexes aussi universels que l’amour, les relations de couple, la famille, la maturité et le vieillissement, la vie et la mort. Rien que ça…
Oui, la disparition est évidemment le sujet central du film, puisqu’il est question de la disparition de Berthe, mais aussi de celle d’un… mulot. Il est aussi question de la fin d’un couple, de la fin d’un cycle pour le personnage principal, de la perte de la mémoire de son père… Et, enfin, il est question de la disparition d’Armand lui-même, dans une vraie malle des Indes de magicien…
A moins que ce ne soit justement le contraire… Peut-être que la découverte de cette malle des Indes dans la chambre de sa grand-mère va l’aider à se retrouver, à retrouver le bon chemin. En fait, le véritable Armand a disparu depuis de nombreuses années, volatilisé en même temps que ses rêves d’enfant - devenir magicien et faire le tour du monde. Le tour de l’ ”âge adulte” a mal tourné et le petit garçon espiègle qu’il était s’est évanoui dans la nature.
Mais, en magie, les choses ne disparaissent jamais complètement. Elles sont juste bien cachées, attendant que le prestidigitateur les fasse de nouveau réapparaître devant un public ébahi. Là, cela prend juste un peu plus de temps que prévu. La vraie personnalité d’Armand – celle du petit garçon – s’est un peu perdue dans les limbes, mais ne demande qu’à s’exprimer de nouveau. C’est peut-être pour cela que le quadragénaire se déplace encore en trottinette, qu’il a un comportement assez puéril parfois, en total décalage avec sa stature grise de petit pharmacien ou son (manque d’)autoritarisme paternel…
En fait, Armand est juste en dormance. Un peu comme un volcan qui, bien qu’éteint depuis des années, pourrait très bien entrer de nouveau en éruption.
La comparaison n’a rien de fortuite. Elle est subtilement suggérée dans le film, à travers le personnage du croque-mort d’Obsecool, Haroun. “Comme Tazieff, le vulcanologue?”, demande Armand, rigolard. “Oui, c’est son fils. Mais on ne dit pas Tazieff, on dit Taziouff…”. Absurde? Non, pas tant que ça… Le père s’occupait des volcans et des coulées de lave. Le fils s’occupe des cendres. Rien d’étonnant à cela…
Derrière cette idée scénaristique farfelue, Bruno Podalydès esquisse une réflexion sur la filiation. Haroun Taziouff est donc le fils d’Haroun Tazieff. Il assume cette filiation et possède, comme son illustre père, un intérêt certain pour les volcans. Mais il a aussi choisi sa propre voie. C’est là quelque chose de normal, les enfants, en grandissant, n’aspirent qu’à s’affranchir de la tutelle de leurs parents… Et cela, Armand version adulte a du mal à le comprendre. On le sent à travers les relations complexes qu’il entretient avec son fils aîné, ado accro aux jeux vidéos. Et pourtant, lui aussi a pris ses distances avec son père – il est vrai sérieusement atteint – et avec cette grand-mère un brin délaissée…
Pour Armand, ce deuil va faire office de renaissance, en lui permettant de se recentrer sur les choses essentielles de la vie.
On pourrait disserter longtemps sur les nombreuses idées qui parsèment le script du film, se répondant souvent les unes aux autres. Elles s’emboîtent parfaitement les unes aux autres pour ouvrir des sujets de réflexion assez vertigineux sur la vie, les relations humaines, les difficultés du quotidien…
Il y a dans ce film une finesse d’écriture peu commune, propre à Bruno Podalydès. Il est l’un des rares, en France, avec sa consoeur Noémie Lvovsky, qui tient ici le petit rôle d’une veuve éplorée un rien collante, à réussir à entrelacer aussi subtilement un burlesque hérité aussi bien de Tati et Etaix que des gags des albums de Tintin, dont le cinéaste est un fan absolu, avec un fond plus grave, d’une richesse assez étonnante.
Adieu Berthe s’inscrit dans la continuité des autres films du cinéaste, comédies loufoques et grinçantes, de Versailles Rive-gauche à Bancs publics, en passant par Dieu seul me voit et Liberté Oléron avec une pointe de maturité en prime et des envolées poético-burlesques encore plus assumées.
Le noir lui va très bien… Discrètement, en toute décontraction, Bruno Podalydès signe une oeuvre élégante, joliment rythmée, tout en finesse. Et il réussit la prouesse de nous faire rire des sujets les plus graves qui soient – le deuil, les regrets, la maladie, les amours contrariées, les rêves brisés…
Une belle réussite, que l’on vous conseille ardemment de découvrir en salle.
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Adieu Berthe – L’enterrement de mémé
Réalisateur : Bruno Podalydès
Avec : Denis Podalydès, Valérie Lemercier, Isabelle Candelier, Michel Vuillermoz, Catherine Hiegel, Samir Guesmi
Origine : France
Genre : la mort vous va si bien
Durée : 1h40
Date de sortie France : 20/06/2012
Note pour ce film : ●●●●●●
contrepoint critique chez : L’Express
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